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Portfolio Le Grand Mix: Pro Gallery

ATOEM

ATOEM est bien le résultat d’une fusion : celle de Gabriel et Antoine, musiciens, producteurs et laborantins pour qui l’infini ressemble d’abord à une piste (aux étoiles?) d’Ableton. Sur cette voie sans péage, ils précipitent boucles droguées, synthés analogiques et guitares psyché, se libérant d’un espace-temps où la hype ne serait plus totalement aux musiques électroniques… Les Rennais ont toujours eu l’esprit frondeur. C’est d’ailleurs sur ses terres, aux Transmusicales 2018, qu’ATOEM a pu constater l’extrême inflammabilité de sa recette chimico-organique. L’extrême plasticité aussi : d’EP en EP, la musique d’ATOEM a constamment muté, aimantée par la new wave ou l’ambiant ou bousculée entre Pink Floyd et techno brute. Dans son dernier avatar, elle guide carrément ses congénères Moderat et Principles of Geometry des profondeurs vers le sommet des pyramides. Son ascension est décidément bien régulière.

Adèle Castillon

Avant même d’avoir 20 ans, Adèle Castillon avait déjà vécu ce que d’autres artistes attendent en vain toute une vie : remplir de grandes salles parisiennes, figurer en haut de l’affiche de grands festivals. Se réinventer, aussi. Car le duo nantais Videoclub, qui lui a offert ces sommets, a fané avant qu’elle ait véritablement achevé son chemin. Voici donc Adèle Castillon créditée à part de Videoclub et aux commandes d’un itinéraire solo matérialisé par un premier album, Plaisir Risque Dépendance, programme touchant de sincérité. Elle y expose dans un langage affolant de maturité les travers de ses multiples ascensions, qui dissimulent immanquablement des descentes vertigineuses. La pop électronique d’Adèle Castillon se nourrit merveilleusement de ces montagnes russes émotionnelles, et son retour à Nantes sera à n’en pas douter à consigner au registre des nouveaux pics de croissance.

Bagarre

Bagarre est leur nom, et le club est leur royaume. Ils sont rares, les derniers défenseurs de la musique de club. Les festivals géants se sont octroyés le quasi monopole de la communion des masses, mais il reste aux dancefloors clos le panache d’une certaine utopie politique égalitaire dans laquelle les corps vibrent à l’unisson. C’est ce penchant libertaire que célèbrent les cinq Parisiens de Bagarre, obnubilés par la volonté de ne faire qu’un le temps d’une soirée, d’un concert. Leur premier EP, réinvention du baggy sound, sonnait il y a dix ans comme une révolution. Le Club C’est Vous, troisième album “””de la maturité”””, recèle des perles peut-être un peu plus désabusées, mais toujours aptes à mettre le monde sur pause en invoquant la pop, les musiques électroniques et la symphonie chorale des voix.

Biig Piig

A force de distribuer les cartes dans le costume de croupière qu’elle enfilait pour gagner sa vie, la jeune Jessyca Smyth a commencé à avoir une épatante lecture des concordances de couleurs et des suites de cartes. On l’image alors transformer les combinaisons de petits rectangles de cartons qui défilaient sous ses yeux mis clos en suites mélodiques. La suite, c’est une belle histoire dans laquelle la réserve ne s’impose plus, le costume tombe et où elle empoche, elle la croupière !, le gros lot : sous le désarmant alias Biig Piig, la désormais Londonienne fait enfin se lever les regards en misant sur un  r’n’b jazzy et délicieusement chaloupé qui prend la main sur toutes les autres combinaisons. Sa session Colors cumule déjà près de dix millions de vues. Biig Piig ne va pas tarder à renverser la table.

Bonnie Prince Billy

Si la musique folk était une collection de poupées gigognes (pas russes, forcément), l’effigie de Damien Jurado s’encastrerait dans celle de Bill Callahan, qui serait contenue dans celle de Will Oldham, toutes contenues dans le corps de Johnny Cash ou celui de Bob Dylan. Ce grossier exercice de sculpture métaphorique permet de situer Oldham dans la glorieuse généalogie de la tradition américaine : à mi-chemin des géants et en surplomb de toute l’internationale folk. Une preuve ? Son monument de 1999 I See A Darkness, repris par l’homme en noir himself, puis par la catalane Rosalia sur son premier album. Sous l’alias Bonnie Prince Billy, le prolifique citoyen moustachu du Kentucky a fini par personnifier cette musique du Midwest qui relie directement l’âme aux cordes pincées. Il revient avec The Purple Bird, “véritable disque de Nashville” qui synthétise plus de trente ans d’orfèvrerie.

Carbonne

Cent millions de fois, quelqu’un quelque part a lancé le morceau Imagine de Carbonne, rien que sur Spotify, et ce en cinq mois seulement. Comme si chaque habitant de Montpellier, la ville d’origine du prodige, avait chaque jour écouté trois fois ce seul morceau. Suffisant pour imprimer les esprits, et de fait Carbonne semble avoir synthétisé les plus vibrants grooves du moment qui transforment le rap en pop et vice versa. Le flow de l’Héraultais s’inscrit avec merveille sur des prods mélodieuses riches en éléments acoustiques et puise ainsi le meilleur des deux mondes. Cette pop hybride, aux toplines tranchantes, n’a pas peur de souligner l’introspection féroce de basses vitaminées, évoquant parmi d’autres états d’âme la peur de la mort, mais dans un tourbillon de beats.

Clara Ysé

Clara Ysé avait su pincer la corde précise des sentiments contrastés qu’exalta le confinement en chantant que Le monde s’est dédoublé. Le recul nous oblige à y entendre un vœu, tant la post-pandémie a ouvert de failles. Dans un monde qui n’a jamais été si divisé, Clara Ysé revient opportunément nous remémorer que des arpèges communs nous relient tous. La Parisienne, devenue entre-temps romancière, laisse apercevoir, avec son premier album Oceano Nox, un nouvel horizon dans le paysage de la chanson : délicatement posé sur un point flottant de l’abscisse temporelle et entre les points focaux qui dessinent en ordonnée un panthéon sublime - Barbara, Mercedes Sosa, Juliette Armanet… - l’art de Clara, formée au chant classique, voltige entre arias majestueuses et comptines pop. Le monde peut bien encore se dédoubler, Clara Ysé nous aide à l’étreindre d’un seul et ample geste.

Danse Musique Rhones-Alpes

Le chaos est un horizon désirable pour Loup Gangloff, batteur, plasticien et guide-mécano de Danse Musique Rhône Alpes. Échappé du duo noise Deux Boules Vanille, ce musicien qui a pourtant bien les pieds sur terre (d’une famille de vignerons) vendange percussions bricolées et synthétiseurs DIY pour composer une musique de fête digne de notre époque : à la fois âpre et entêtante, sombre et enivrante. La techno expérimentale de DMRA fait acte de sérendipité en accueillant volontiers les accidents rythmiques et autres trouvailles de l’instant. Elle dégage ainsi un supplément d’âme qui boute le sacro-saint BPM hors de ses cuves : un véritable office du tout-risque !

Deluxe

Aix-en-Provence, ses fontaines, ses cloîtres, ses musées et… Sa moustache. Depuis 2007, Deluxe affuble sa ville d’origine de la pilosité qui lui faisait défaut (si l'on excepte celle de Cézanne) et fait frémir ses eaux thermales en propulsant une musique où tous les grooves les plus souriants se rejoignent. La galaxie sudiste de Chinese Man a trouvé dans son antenne aixoise son étoile la plus légère, la plus virevoltante aussi : cuivres chaloupés, accents hip-hop ou encore funk encadrent de couleurs vives la voix devenue emblématique de la chanteuse Liliboy, qu’on ne sait plus classer parmi les divas de la soul ou les plus ardentes rappeuses. La moustache Deluxe va encore frétiller cette année, le single Michael sorti mi-février étant le signal qu’il est l’heure de sortir son meilleur peigne !

Ebbb

C’est toujours émouvant, une naissance. Alors quand le faire-part annonce Ninja Tune comme parent biologique, l’événement devient inratable. Ebbb est le dernier rejeton de la mythique écurie londonienne et sature déjà l’atmosphère des undergrounds par son spectre musical qui oscille entre l’ambiant et l’indus. Leur généalogie indique Brian Wilson (pour la voix) et Death Grips (pour la sueur). Les premiers témoins comparent leurs shows à des expériences quasi-religieuses : on attend donc beaucoup de la liturgie de ce baptême.

En Attendant Ana

Dans la future mise à jour de son encyclopédie du rock, Michka Assayas pourra aisément insérer En Attendant Ana juste après Electrelane, et se ravira de constater l’heureuse harmonie de cette actualisation. Les Parisiens partagent en effet avec leurs cousines de Brighton la bénédiction du dieu des mélodies vocales portées par des femmes. Ici, c’est Margaux Bouchandon qui a été touchée par la grâce, et ses quatre acolytes qui en sont chaque jour les témoins et complices : cinq ans d’existence et déjà trois albums pour ce quintet pas aussi patient que ce qu’il prétend, et une quintessence stylistique atteinte cette année avec Principia, formidable précipité de garage pop aux étincelles cuivrées et aux mélodies fiévreuses.

Fatoumata Diawara

En quelques années, Fatoumata Diawara est devenue un véritable fétiche que les compositeurs du monde entier s’arrachent, comme Indiana Jones lancé à la poursuite de la statuette régénératrice d’un village désolé. Les aventuriers s’appellent ici Matthieu Chedid, Damon Albarn et Disclosure, et si leur village n’a pas à se plaindre, ils savent parfaitement tirer profit des suppliques envoûtantes de la Malienne. Découverte au cinéma et rapidement auréolée du titre officieux (et encombrant) de représentante du continent africain, la chanteuse, guitariste et comédienne a aussi et surtout bâti une discographie personnelle impeccable qui lui permet à son tour de faire appel aux plus savoureux featurings du monde entier. Son dernier album, London KO, fait d’admirables détours par le jazz, la pop et le folk sans jamais s’égarer : Fatoumata est chez elle partout.

Frank Carter & The Rattlesnakes

Un groupe qui compte dans sa discographie un “Live at Brixton Academy” (idée de thème pour un blind test) en a forcément sous le pied. Sous la godasse de Frank Carter, il y en a même de toutes les couleurs. Découvert au sein des excellents et vociférants Gallows, le Britannique s’est ensuite amusé à faire mentir l’étiquette punk tatouée sur sa tête. Vertigineuse pirouette consistant à alterner déflagrations sonores et envolées lyriques, à passer des pubs mal famés aux mélodies compatibles FM… Une cascade autrefois réalisée par Josh Homme et ses Queens of the Stone Age ! Avec Dark Rainbow, Carter s’aventure où l’homme-punk n’a jamais mis les pieds et prouve qu’il n’a besoin d’aucune pesanteur pour expirer un rock tendu, explosif et néanmoins empli de sentimentalité. Dans ce registre, pensez pour votre blind test à citer Faith No More, autre membre du Panthéon de Brixton…

GRLwood

Est-ce paradoxal que le dernier avatar du mouvement riot grrrl soit apparu dans l’état américain le plus doté en armes en feu? Rej Forrester, la créatrice de GRLwood, vient en effet du Kentucky, c’est sans doute ce qui lui permet de hurler plus fort que le plus puissant fusil automatique. Dans ses hymnes explosifs, elle dénonce les idéologies hétéro-normatives sur fond de speed pop extatique. La presse la surnomme déjà “Kentucky Fried Queerdo”, et c’est garanti sans matière grasse.

Glauque

Les paysages industriels forment un territoire fécond à l’apparition de nouvelles espèces d’herbes sauvages : dans la Ruhr comme à Detroit, les rythmes mécaniques des fabriques se sont solidifiés en d’inoxydables esthétiques. C’est à Namur que l’aventure botanique se poursuit, là que le quatuor Glauque envisage les futurs de la musique électronique et du rap. Deux futurs inexorablement convergents, comme l’atteste le premier album époustouflant du groupe belge, Les gens passent, le temps reste : le programme n’est pas des plus optimistes mais le code écrit par les frangins Lucas et Louis et leurs potes Aadriejan et Baptiste sonne étonnamment juste. Les parallèles avec Odezenne semblent justifiés, mais pas davantage que celles qui les lie à Stromae, Fauve ou même Damso. C’est au coeur de ce terreau, là où le PH est le plus poisseux, que Glauque tire sa sève.

Grandbrothers

Des Allemands de Düsseldorf qui explorent de nouveaux continents électroniques à partir d’instruments bricolés, ça ne vous rappelle rien ? Erol Sarp et Lukas Vogel aka Grandbrothers ne se prennent pas pour des “Roboter” mais plutôt pour des chirurgiens du piano. Leur dispositif inclut en effet un piano à queue préparé pour Sarp tandis que Vogel, sur ses machines, sample les notes de son partenaire et intervient à distance sur les cordes et les marteaux de l’instrument à l’aide d’un mécanisme made in Bassin de la Ruhr. Grâce à ce piano préparé du 21e siècle, le duo envoie les cordes frapper plus haut que Satie aurait pu en rêver et aménagent un environnement céleste sculpté autant dans l’organique des cordes que dans l’électronique : une réalité augmentée pour le meilleur.

H-Burns

Dans son roman Sunset Park, Paul Auster écrivait les errances d’un homme en rupture de ban avec sa famille. La mélancolie encrée de l’écrivain américain a contaminé les chansons du neuvième album d’H-Burns, auquel il a donné le même titre. Le “sunset”, le coucher de soleil, était déjà un motif récurrent dans la musique de Renaud Brustlein, devenu en près de deux décennies l’astre français d’un folk qui ne se contente pas de singer les Américains, mais leur offre un contrepoint européen. Toute la discographie d’H-Burns exsude de Dylan, de Cohen (auquel il a consacré un album de reprises), d’Elliott Smith. Dans leurs pas, le Français atteint, sur Sunset Park comme depuis au moins dix ans, des sommets d’intensité mélancolique qu’on croyait réservés aux grandes plaines. La musique d’H-Burns a bien des racines américaines, mais en s'extirpant du sol, elle s’empourpre d’une ivresse européenne… Française même : l’homme est un grand amateur de vin.

Iliona

Elle pourrait chanter des tableaux de Snellen, ceux qu’on trouve chez les ophtalmologues pour tester l’acuité visuelle, elle parviendrait quand même à nous toucher. Iliona est de ces accidents magnifiques, de ces hoquets non planifiés par l’industrie musicale et dont s’est emparé le public dès 2021, dès Moins joli, un piano-voix de facture classique que rien ne destinait à exploser, si ce n’est sa sincérité débordante et une certaine discrétion. Oui, Françoise Hardy se cache entre les touches du piano de la Bruxelloise, labellisée “néo-yéyé” pour souligner le fait qu’elle s’adresse à tous les garçons et les filles de son âge. A celui de porter un premier album, Iliona hybride ses chansons et libère encore davantage l’évidence et la pureté de ses compositions.

JRK 19

En 1995, Eric Cantona faisait chanter La Marseillaise à tout Old Trafford, l’antre de Manchester United. En 2024, un jeune rappeur parisien a réédité l’exploit, ou presque : en signant un featuring avec Central Cee, la star du drill britannique, JRK 19 fut à l’origine d’une épidémie de “wesh” dans les rues de Londres. Faut-il du culot, de l’entregent ou du talent pour s’offrir ce genre de featuring explosif ? Les trois, sans aucun doute. Il faut aussi certainement avoir sorti un banger comme Avenue Porte Brunet, le récit acide et terre à terre des squats quotidiens du quartier Danube. JRK 19 est en passe de devenir le “mec de Panam” le plus influent du rap.

Johnny Mafia

Existe-t-il un genre plus évocateur que “power pop”? Ce qui pourrait être le nom d’une super marque de chewing gums est en fait la recette - d’AOP américaine - qui a fait de Weezer le meilleur représentant des émotions oxymoriques, fureur et pathos dans le même sac vert-bleu. Johnny Mafia préside déjà le syndicat du mouvement en France, et avec un quatrième album (2024 : Année du Dragon) aussi percutant et aussi dénué de fausses notes, il devrait prendre les rênes d’une congrégation plus large encore. La Californie de Johnny s’appelle Sens (dans l’Yonne!) et son sable blanc est plus propre que jamais. Un punk colorié sans dépasser, une section rythmique bien rasée, un chanteur toujours reçu 20/20 et surtout une énergie indépassable dans le cercle fermé des Johnny du circuit.

Jyeuhair

“J’suis pas un rappeur j’suis un bricoleur” balance Jyeuhair dans l’un de ses titres. Force est de constater que le natif de Guyane a ce qu’il faut dans sa caisse à outils pour assembler des titres qui ne ressemblent qu’à lui, amalgames de pop au sens très large, d’electro et de textes malins qui dessinent un parcours singulier et une hauteur de vue peu commune. Avant de devenir la figure de la troisième saison de Nouvelle École sur Netflix, Jason a grandi à Madagascar, Djibouti et Marseille, amassant les influences comme les idiomes. Un panorama géographique et culturel qu’on retrouve malicieusement agencé dans les productions de ce nouveau venu sur la scène rap française et dans son premier album,  (très) attendu le 29 novembre.

Kokomo

A bien y regarder, l’île de Nantes ressemble à une rouflaquette géante. La présence dans ses parages  - au creux de l’oreille, bien sûr - des deux acolytes qui forment KO KO MO n’est pas étrangère à cette illusion d’optique. La faute au filtre éminemment psychédélique que forgent sans ménager leur peine depuis dix ans Warren Mutton et Kevin Grosmolard et à leur façon de fouler de leurs pattes d’eph’ les scènes hexagonales avec la puissance d’un pachyderme, et une certaine élégance glam aussi : Robert Plant et Marc Bolan ont forcément été, pendant au moins une partie des années 90, des icônes crucifiées de punaises sur les murs de leur chambre. KO KO MO n’est cependant pas (uniquement) un réjouissant exercice de nostalgie mais une fougueuse mise à jour des canons du rock à riffs. Catapultées de ces mitraillettes implacables, les balles sont toujours inoffensives, mais elles ne sont jamais perdues.

Lambrini Girls

Le Lambrini est “un cidre de poiré léger et fruité fabriqué à Liverpool”. Mais souvenez-vous de vos cours d’anglais : attention aux faux amis ! Les Lambrini Girls ne sont ni de Liverpool, ni légères, et pour le fruité, ça reste à voir. Le trio prétend s’inspirer autant de Savages que des Spice Girls, mais là encore, ça peut être un peu trompeur, en tous cas pour la deuxième proposition. Ce qui en revanche ne prête à aucune discussion, c’est la fureur développée par ces filles de la côte est britannique depuis leur single Help Me I’m Gay en 2022. Avec un accent trempé dans la lager (le Nottingham des Sleaford Mods n’est pas loin!), le girl band le plus épicé de l’année enchaîne les prestations infernales comme les doigts d’honneur à l’extrême droite et à l’establishment anglais. C’est garage mais en mieux produit, punk mais en plus audible, c’est comme du Lambrini finalement : ça se boit en toute facilité.

Lucky Love

Avant de surgir un beau soir d’été sur le téléviseur, en majesté sur la Place de la Concorde sous des anneaux olympiques, Lucky Love avait déjà conquis de nombreux tréteaux comme danseur, acteur et mannequin. Ce soir-là, le Lillois a sidéré les téléspectateurs du monde entier par son charisme, sorte de réincarnation de Freddy Mercury célébrant la différence.

Lucky Love avait déjà explosé avant ce show parisien grâce à son titre Masculinity, devenu hymne universel pour les personnes trans. Il figure d’ailleurs sur son premier album I Don’t Care If It Burns, ensorcelante démonstration de souplesse vocale et stylistique qui renvoie autant à Frank Ocean qu’à Rahim C Redcar.

L’Impératrice

La France a un glorieux passé dans le domaine des frocs moulants à pattes d’eph’ et de la boule à facettes : oui, le french disco est une AOC, qu’a revigoré il y a déjà dix ans le sextuor parisien L’Impératrice dans une séduisante variante toute aérienne. Deux albums plus tard, ce nouvel empire disco s’est élargi à toute l’Europe et jusqu’outre Atlantique et les Français ont converti des peuples entiers, hypnotisés par la présence scintillante de leur chanteuse. “Culte”, déjà ?? Nous n’en sommes encore qu’au début du règne mais L’Impératrice a déjà les faveurs de tous les partisans d’une pop exaltée et pleine de saveurs qui sait autant regarder dans le rétro que dans le viseur. Cette année, L’Impératrice contre-attaque.

Meryl

Meryl a eu cette définition de la topline pour l’émission Clique : “c’est du yaourt organisé, une mélodie et de la structure : une science”. Elle sait de quoi elle parle, celle qui depuis 2019 court les labos (les studios) pour y déverser cette fameuse science de la topline. Et dans le domaine, sa maîtrise est implacable : SCH ou encore Niska ont fait appel à elle pour changer de simples sons en bangers mémorables. En solo, elle explose en 2020 avec Jour avant caviar : le titre Coucou est encore aujourd’hui et de loin son titre le plus streamé. La Martiniquaise n’a pas d’équivalent pour injecter dans ses sons dancefloor les plus chaudes effluves antillaises. Et elle ne compte pas s’arrêter là : 2024 porte déjà son empreinte grâce au facétieux titre Ton ami en feat. avec Josman.

Miossec

Après une tournée avortée en 2023 pour raison impérieuse (touchant le Finistère de son art : ses cordes vocales), Miossec repart en tournée porter les couleurs de Simplifier, un douzième album en forme de lumineuse synthèse d’une œuvre à la poésie écorchée. Depuis le milieu des années 90, Miossec glisse ses tripes entre des cordes et de Boire en Baiser, n’en finit pas d’occidentaliser le point d’équilibre de la (nouvelle) chanson française jusqu’à ce que le continent en finisse, jusqu’à Brest. L’écume des sentiments mousse au rivage des chansons du Breton, resté seul depuis la disparition de Daniel Darc dans l’estuaire où mouillent ces auteurs tout sauf étanches.

Niska

Dans les livres d’histoire de la musique, c’est le visage de Niska qui illustrera le grand virage du streaming qui a catapulté le rap français vers les cimes. Souvenez-vous : au milieu des années 2010, la trap domine le genre, les supports physiques sont désormais carrément désuets et, le 22 septembre 2017, Niska sort Commando, long format qui offre une prolongation salutaire au single Réseaux, véritable tube de l’été. Rapidement certifié diamant, cet album propulse son auteur au Panthéon du rap français. Cinq ans après - l’équivalent d’un millier d’années pour le rap - ce sommet de la trap grand public reste l’un des plus épatants blockbusters de son temps, d’une efficacité redoutable et d’une liberté de ton désarmante. Le rappeur d’Evry n’a plus jamais cédé sa place, et même s’il n’a plus jamais atteint de telles hauteurs, il continue de dynamiter les réseaux à chaque nouvelle sortie.

Papier Tigre

Les émissaires nantais de l’oxymore saturé reviennent après six années d’absence. Même si leurs cartes postales envoyées (balancées!) depuis la Colonie de Vacances ont pu combler certains appétits, la fougue des Nantais n’avait plus été ressentie depuis un temps reculé où le Professeur Raoult menait ses petites expériences sereinement. Des expériences, c’est bien la promesse de Papier Tigre, en savants dosages de math rock, de giclées fugaziennes et de pop noisy. Pour les vingt ans de Murailles Music, la maison (en granit) des musiques curieuses, les trois de Papier Tigre reprennent donc la route, ce qui constitue une bonne nouvelle à ajouter à la case trop déserte des bonnes nouvelles.

Peter Hook & The Light

Un oncle baroudeur, qui à chacune de ses trop rares visites à la maison, conte ses mille vies et ravive le souvenir d’un temps perdu qu’on aurait tellement aimé vivre… Voici à peu près ce que Peter Hook représente pour plusieurs générations de mélomanes : le témoin de l’une des plus grandes histoires du rock. Cette année, tonton Hooky nous revient les bras chargés de cadeaux puisqu’il a exhumé les albums Substance de New Order et Joy Division, respectivement sortis en 1987 et 1988. Deux compilations mythiques qui, comme leur nom l’indique, renferment l’essence de leur époque, de cette décennie magique 1977 - 1987 dont on a toujours pas fini de cerner l’éclat délicat aux vifs reflets obscurs. C’est bien de cette lumière qu’il est question. Une setlist pour l’histoire donc.

Roméo Elvis

Après sept ans de cavale tous azimuts en tête de gondole d’une scène belge en pleine ébullition, Roméo Elvis semble avoir pris goût à une certaine décélération. Si le diptyque Chocolat et Tout Peut Arriver lui a donné les clés de Bercy et du royaume, la voix la plus chaude à parler la langue d’Akhenaton (depuis, disons, François Baroin ?) trouve une nouvelle dimension dans les galeries de son dernier mini-album. Plus question de se serrer dans une caisse, l'aîné des Van Laeken s’extirpe de la fête permanente pour plonger dans l’underground, sans doute à la recherche des origines du rap. C’est évidemment le sous-sol de Bruxelles (“cette ville est vitale”) qu’il explore, de Forest à la Place Flagey : des profondeurs qui siéent à merveille à son timbre caverneux et qui trahissent ce besoin d’introspection qui a toujours fourni le meilleur argument aux rappeurs.

Samba de la Muerte

En 2016, Patrice Bardot promettait dans Libé un parcours irrésistiblement ascensionnel à Samba De La Muerte, qui venait de livrer Colors, un premier album kaléidoscopique : “40 minutes frôlant le sans-faute”, “le sommet est en vue”, s’extasiait le journaliste. Cette année-là, Libé en pinçait aussi pour Benoît Hamon en vue de la présidentielle 2017… Heureusement les amours musicales ne sont pas affaire de démocratie et force est de constater que Patrice Bardot avait vu juste en pariant qu’il faudrait du temps à Adrien Leprêtre pour “mûrir sa réflexion artistique”. Quelques années plus tard, Samba De La Muerte n’a pas plus approché les charts qu’Hamon l’Elysée, mais son programme reste aussi pertinent qu’enthousiasmant : un ballotage entre Talk Talk et danse danse, entre Radiohead et electro pop qui constitue encore l’attelage d’Ornament, le nouvel album de SDLM. Offrir à Samba De La Muerte la reconnaissance qu’il mérite, c’est notre projet.

Slift

Le rock stoner tient son nom - semble-t-il - de l’état de défonce de ses pionniers. Si les Toulousains de Slift ont un œil goguenard tourné vers les étoiles, c’est sans doute moins par l’abus de substances que par fascination toquée pour les mondes imaginaires de la science-fiction. Pour orner la pochette de son second et déjà culte album UMMON, le trio avait fait appel au légendaire illustrateur Caza, qui avait parfaitement su extraire de sa mine l’éclat cosmique et l’énergie incandescente de leur rock : “space rock” a t-on lu alors, et cela correspond bien aux altitudes que fréquente Slift si l’espace en question est suffisamment vaste pour abriter post, prog et psych rock… A cette hauteur, les frontières ne sont que des gribouillis que Slift a rapidement gommés pour tourner à l’international, et c’est désormais pour le mythique label de Seattle Sub Pop que Slift scrute les étoiles. Il parait que ce sont les mêmes qu’à Toulouse.

Stereolab

Grand groupe indé de l’ombre plus que de l’underground, Stereolab a façonné son propre monde - que tant ont rejoint depuis - en sculptant d’abord un rock noisy tendance shoegaze, puis en élevant les monuments d’une pop ligne claire restés intacts trente ans après. Le duo Laetitia Sadier - Tim Gane a depuis ses débuts joué à cache-cache avec les étiquettes, draguant le krautrock avant de virer dream pop, égarant forcément au passage quelques-uns de ses suiveurs, mais dessinant surtout un sillon remarquable et avant-gardiste. La voix de la chanteuse française - ses comptines marxistes et sa poésie lunaire - est ainsi devenue pour toute une génération un véritable doudou qui gagnait en préciosité ce qu’elle délaissait en notoriété. Après moults tumultes que connaissent forcément tous les groupes qui durent, Stereolab revient, et devinez où ? A Stereolux bien sûr.

The Libertines

Si The Crown devait avoir un spin-off, les gens de Netflix seraient bien inspirés de reprendre leur saga au moment où Tony Blair devient Premier Ministre. Depuis 1997, ils pourraient ainsi suivre des personnages aux pédigrées moins historiques mais aux trajectoires bien moins prévisibles : Pete Doherty et Carl Barât en seraient les héros, et la naissance de The Libertines, le point de départ. Le duo (quatuor, en fait) a écrit les pages récentes les plus électrisantes de l’histoire du rock. Dans cette épopée-là, les dates cruciales - 2002, 2004, 2015 - sont celles de la discographie, les élections sont des dissolutions et les mariages tournent systématiquement au divorce. Mais elle est aussi là, l’histoire du Royaume Uni, bien moins tragique, et elle a même pris une nouvelle tournure cette année, avec l’arrivée inespérée d’un quatrième album. C’est ainsi avec les meilleures séries, on espère toujours ne pas voir la saison de trop, mais le lien est si fort…

Thomas De Pourquery

Il est l’inventeur du concept de “free jazz de stade” et pour cette seule raison, mérite une salle des fêtes à son nom. Thomas De Pourquery mérite bien d’autres honneurs, en plus des deux Victoires du Jazz et du prix Django Reinhardt déjà exposés dans son salon. Peu importe : dans la salle polyvalente mentale d’où il puise son inspiration, la fête bat déjà son plein, qu’il prenne la proue de Supersonic, all star jazz band français, joute au Saxophone avec Jeanne Added, Oxmo Puccino ou Metronomy ou s’adonne à sa dernière passion, une pop qu’il localise sous les mêmes heureux auspices insulaires que Future Islands. Thomas De Pourquery réalise enfin son rêve avec un premier album de chansons solaires réalisé avec Yodelice et même s’il ne remplit pas les stades, au moins il est libre.

Victor Solf

Après la fin de Her, Victor Solf proclamait la subsistance de l’espoir dans un album au charme magnétique qui constituait un prolongement salutaire à l’aventure planétaire vécue en duo. Still. There’s Hope aura en tous cas permis à Victor Solf d’assurer à son public qu’il n’avait rien perdu de la sève délicate qui parcourt ses mélodies soulful. Ce fait établi, l’étape suivante est la déclinaison pleine de panache de cette recette en français, pari audacieux s’il en est : qui dans l’hexagone peut se targuer de marcher dans les pas de Marvin Gaye sans risquer le pastiche ? Solf prouve avec Tout peut durer, premier single d’un album prévu en 2025, que son r’n’b peut être francofuge, voire francophile : rien n’arrête les cœurs emplis d’espoir, l’ingrédient principal de cette fameuse sève.

Worakls Orchestra

Pour Kevin Da Silva Rodrigues, le concert symphonique de Metallica en 1999, qui donna lieu au film S&M, fut un game changer. Le Parisien, 11 ans à peine, découvre que les cloisons entre genres musicaux ne sont pas étanches et mieux, que ceux-ci se nourrissent mutuellement. Devenu Worakls, producteur de musique électronique, la guitare de James Hetfield a continué à frayer avec le San Francisco Symphony dans l’auditorium de ses méninges, et c’est tout naturellement que l’intimidant terme “orchestra” est venu se greffer à ses rêves de kick et de BPM. Worakls Orchestra condense le meilleur des deux mondes et se permet toutes les grandiloquences pour mieux emporter son auditoire. Les prods de Kevin concourent dès lors avec les plus belles séquences en cinemascope de Woodkid. Mais au fait, Worakls Symphonique, ça s’écoute assis ou ça se danse debout ? Les quatre, mon capitaine, et bien plus encore.

Yoa

Le détour, Yoa n’en à que faire. C’est la ligne droite, l’adresse directe qui aspire et inspire la Parisienne. Qui d’autre dans le spectre musical peut mentionner Pornhub et Instagram avec une telle poésie ? Comme si elle s’emparait de l’esprit du temps sans les filtres habituels ou les biais générationnels, la chanteuse, également actrice et metteuse en scène, compose avec les affres de son jeune âge. Dans sa voix mutine et pourtant si douce, les grands traumas de l’époque sont réduits à l’état de cibles émouvantes : la question de la santé mentale semble traverser les chansons de Yoa, elle qui se mit à composer en plein covid. Ce ne sont pourtant pas des complaintes qui émergent mais des états d’âme envoûtants de maturité enluminés par une pop électro à la production ciselée. On compare déjà Yoa à Billie Eilish : le voici, le spectre à sa hauteur.

Acid Arab

Un nom à la puissance d’évocation si forte qu’il est devenu une marque, un pédigrée unique assis sur deux continents qui inspire une vision hallucinée d’un djébel où les derboukas explosent en infra basses. Guido Minisky et Hervé Carvalho aka Acid Arab déclenchent depuis 2012 leur tempête du désert en laissant circuler sous la roche un mélange acide qui fait fusionner nord et sud, musique électronique et sonorités arabes et moyen-orientales. La chaleur est le paradigme où se déploient les boucles du duo parisien, mais de sécheresse, jamais il ne souffre : régulièrement rejoint par les plus agiles musiciens du maghreb et d’orient, Acid Arab n’a pas fini de creuser un sillon clair et bien tracé, vers l’envoûtement et jusqu’à la transe.

Aime Simone

Le système capitaliste, cette étonnante engeance qui peut faire surgir d’une pub télé pour du papier peint l’un des artistes les plus émouvants de sa génération. C’est ainsi qu’en soulevant le rideau affiché à l’écran, des milliers de téléspectateurs ont découvert Aime Simone, la puissance de son titre Shining Light et son délicat timbre aux envolées déchirantes. Shazam est donc bien le nom d’une formule magique : voici en quelques semaines le jeune songwriter français bastonné en radio jusqu'en Scandinavie, remixé pour les clubs et adoubé par des typologies de public allant désormais du papier peint fleuri aux murs écaillés en passant par la peinture verte satinée (biosourcée). Avec ses airs de Paul Dano non genré, Aime Simone se lance dans le grand jeu de la fame avec les certitudes de la jeunesse, reprend si habilement le tube d’Harry Styles qu’il lui en piquerait presque la paternité et s’apprête donc à combler les foules des salles de concert. Le marouflage se déroule à merveille.

Bambara

La cohérence cardiaque est un état psychophysiologique servant à réduire le stress en équilibrant nos systèmes sympathique et parasympathique à l’aide d’un exercice de respiration. Le son de Bambara vibre lui aussi sur l’une de ces fréquences au nom compliqué qu’on trouve dans les troisième ou quatrième paragraphe d’une page Wikipedia savamment entretenue. Puisque l’on parle de rock et pas de développement personnel, on dira simplement que ça pue l’évidence et que ça sonne grave. Les deux jumeaux qui y tiennent le chant, la guitare et la batterie sont peut-être pour quelque chose dans la cohérence qui se dégage du trio de Brooklyn. Le dégradé de noir à la Pierre Soulages qu’empile Bambara sur quatre, bientôt cinq albums, prend des formes variées - shoegaze, noise, post-punk - et a projeté son ombre sur les tournées d’Idles et de Gilla Band, et dans la bande-son de Peaky Blinders. Sa cohérence est bien cardiaque : elle coupe le souffle.

Black Country, New Road

Ce pourrait être le titre d’un film du regretté David Lynch. Sa bande-son, aussi… Celle d’une route tortueuse qui plonge dans l’obscurité. Black Country, New Road a en effet un scénario aussi difficile à suivre que fascinant, qui s’est ouvert en 2021 sur une scène d’exposition magistrale : For the first time plongeait l’auditeur dans la black lodge de l’art rock, une capsule aux contours flous décorée de cuivre et dans un sentiment d’urgence inquiétant. Le storyboard s’illuminait ensuite en ralentissant le tempo des images et débouchait sur l’un des plus beaux albums de l’année suivante, tout simplement. Et comme il fallait un twist pour encore égarer le spectateur, les Londoniens ont tout simplement fait disparaître leur charismatique chanteur de leur plan de travail. Comment vont-ils se sortir de cette nouvelle péripétie? Les chanceux qui ont assisté à leur première partie de Nick Cave sur sa tournée récente vous le diront : très bien. Mais NO SPOILER PLEASE.

Borough Council

Les frères Haydn et Joe Ackerley semblent pouvoir communiquer sans effusion de moyens. Accompagnés de leur ami Tom Heaton et du troisième frangin George à la production sous le nom le moins clinquant possible (Borough Council = Conseil Municipal), le trio étire cette philosophie lo fi à leur passionnante pop où l’épure et les silences sont aussi significatifs que leurs impeccables agencements de guitares et de voix.

Cash Savage and The Last Drinks

C’est un western que produit et réalise Cash Savage avec son crew au nom évocateur de l’ambiance de tournage… Le rock n’roll australien sent la poussière, et en près de 15 ans à ne surtout jamais passer l’aspirateur, c’est sur un nuage que voyage désormais la bande de Melbourne. Mais l’expérience Cash Savage n’est pas qu’une affaire de suffocation sonique : la grâce de PJ Harvey et la profondeur de Nick Cave se cachent parfois dans les scènes épiques mises au point. C’est surtout le cas dans le dernier album du groupe So This Is Love, grandiose plan séquence aux paysages magnétiques et au scénario bouleversant, car très intime. A l’inverse de Shelf Lives, arrivez à l’heure, mais prévoyez de rentrer tard. On a toujours le temps pour un last drink.

Coach Party

Si les Wet Leg vantent les vertus de la chaise longue, le credo de Coach Party serait clairement de s’en extraire et de la balancer gaiement dans les airs. Sur l'île de Wight, qui a vu éclore ces deux formations à la fin des années 10, les visions du farniente semblent diverger pas mal. Naître méta-insulaire (puisque sur une île faisant elle-même partie d’un royaume insulaire) instille visiblement le goût de la fronde. Les 600 000 spectateurs du festival iconique de 1970 ont sans doute laissé quelques traces de psychotropes dans les nappes phréatiques de l’île, ou est-ce la secousse de ces trois jours qui ne s’est jamais tue ? Toujours est-il que Coach Party a fait converger les oreilles de l’indie rock sur ce morceau de terre planté dans la Manche, surtout depuis l’épatant EP After Party en 2021. Avec l’énergie propre à un naufragé - d’une île déserte, d’une société en perdition, quelle importance ? - ces deux filles et deux garçons déchaînent une power pop fiévreuse qui cite autant les Strokes que Sonic Youth et sonne comme un ultime appel à ne pas s’assoupir.

Danyl

Il n’est pas question de surgissement soudain en tête des plateformes, de streams accumulés de façon magique dans l’ascension de Danyl. Le jeune Parisien a mis le travail au cœur de sa création, diffusant sur Twitch un dimanche sur deux ses sessions de composition acharnées, et titrant ses EP Khedma, “le travail” en arabe. Il ne faut cependant pas voir dans le Franco-algérien de 23 ans un laborieux. L’aisance avec lequel celui-ci développe ce qu’on appelle déjà le “new raï” est fascinante. Formé au piano, Danyl compose, écrit et produit des titres qui agglomèrent les sonorités traditionnelles du Maghreb avec la plus rutilante pop mondialisée. Couronné au dernier Printemps de Bourges, Danyl creuse une veine méditerranéenne qui confère à son rap un éclat solaire.

Divorce

Parfois ce sont les artistes eux-mêmes qui parlent le mieux de leur musique. Divorce se présente avec la formule “Wilco meets Abba”, et si le paradigme est bien senti, les quatre de Nottingham méritent un effort. On repense à The Magic Numbers avec émotion à l’écoute de leur “country pop” qui semble provenir d’un état du midwest américain, comme une résurrection des Carpenters :  mélodies enjôleuses pour harmonies vocales majestueuses.

Eddy de Pretto

À son apparition en 2017, on parlait de “génération Dolan” pour distinguer la fibre de ces artistes, à l’instar d’Eddy de Pretto, qui plaçaient les questions de genre au cœur de leur création. Dans le cas du natif de Créteil, c’est plutôt celles du non-genre qui caracolaient. Au moment où Dolan met un terme à sa carrière, de Pretto lui multiplie toujours les projets, les apparitions, et incarne désormais presque à lui seul la synthétisation de la variété par le rap. C’est désormais une “génération de Pretto” qui commence à poindre, inspirée par le caractère effronté et la mise à terre des codes virils que continue de défendre fièrement le Kid. Eddy de Pretto viendra présenter le successeur très attendu d’ À Tous les Bâtards, son album de 2021.

Etienne de Crécy

La french touch a une date de naissance (le début des années 90) mais quand s’est donc terminé son âge d’or ? A la séparation des Daft Punk ? Quand tout le monde est devenu DJ ? Les cérémonies olympiques cet été ont pu ressembler à une panthéonisation de l’électro française, mais si Etienne de Crécy était au casting, ça n’était pas pour ambiancer un enterrement : lui qui signa sans doute l’acte de naissance de la french touch avec Motorbass est devenu malgré lui une sorte de patron du syndicat des producteurs de musique électronique du pays. En bon meneur, Etienne ne s’est jamais endormi sur ses nombreux lauriers, renouvelant sans cesse son art et marquant l’histoire du “live” avec des scénographies ahurissantes. Tant qu’Etienne de Crécy portera la flamme, la french touch brillera.

Favé

Ce genre de phénomène va donner du grain à moudre aux sociologues : Favé fait partie de cette new gen qui a profité du confinement pour mûrir ses premières rimes dans un cahier (celui qui est resté vierge à partir du troisième trimestre), et qui a instantanément trouvé un écho massif. Résultat, le natif de Saint-Leu-la-Forêt (95) se retrouve lancé dans une tournée à guichet fermé, lui qui n’a même jamais assisté à un seul concert… C’est donc avec la plus franche spontanéité que Favé part à la rencontre d’un public qui assimile à la vitesse d’un scroll sur Tik Tok les lyrics, comme pour rattraper le temps perdu à tourner dans sa chambre. Il ne part cependant pas de rien : son single Urus cumule des dizaines de millions d’écoutes et de vues, talonné de près par Flashback, un featuring dément avec Gazo. A l’heure du premier album, Favé a déjà rattrapé les trimestres manquants.

Fred Wesley

Le souffle du funk ! L’homme vers qui toute la galaxie funk converge continue, à 80 ans, d’expirer les plus étourdissantes saillies cuivrées. Le tromboniste américain est de ces figures sans lesquelles la musique moderne n’aurait pas le même visage. Sans lui, James Brown aurait-il été décoré du titre de “Godfather of Soul” ? Quelle place auraient eu Parliament et Funkadelic ? Le prénom Fred serait-il devenu aussi cool ? Entouré de ses New JB’s, en hommage au groupe qui autrefois accompagna James Brown et qu’il dirigea, l’octogénial n’a rien perdu de son phrasé inimitable inspiré par le jazz et envoûté par la soul et le gospel.

Gablé

La légende raconte que les plus sophistiqués des algorithmes californiens ont renvoyé une “erreur 404” au moment de traiter le cas Gablé pour le ranger dans l’une ou l’autre des playlists d’ambiance que vantent les plateformes en tête de gondole. Trop tarabiscotée, trop anguleuse, la musique des Normands a surtout trouvé sa place, au fil des ans et des tournées, dans les plus aventureuses programmations des tiers-lieux qu’on n’appelait pas encore ainsi. De la tiers-pop, donc ? De la serendipity folk ?Ce serait ne pas faire suffisamment honneur au périmètre insensé ratissé par le trio depuis 2008 avec les moyens du bord et dans la plus échevelée des approches DIY : vents, bidouillages électroniques, percussions schizo et voix azimutées… Des ingrédients qui n’auraient jamais dû se retrouver dans le même bocal et qui pourtant donnent naissance à de fascinantes symphonies de poche.

Godspeed You! Black Emperor

Ils sont à Montréal ce que le label bio est aux agrumes : un marqueur fort - politique même - un gage, une fierté. Dans la corne d’abondance de Constellation Records depuis 1994, Godspeed You! Black Emperor continue à personnifier cette vendange d’humeurs humaines qu’on surnomme le post rock. Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven reste, 24 ans après sa parution, la référence du genre : un paradis duquel continuent de pleuvoir des vagues saturées sur tous les projets musicaux qui visent la transcendance. En 2024, GY!BE n’a pas épuisé les mille saveurs de son “rock de chambre”, extraites avec un bouillonnement radical lors de représentations épiques mettant en scène des bobines 16mm. Cet hydromel AOP, garanti sans pesticide, vous plongera dans la plus délicieuse des torpeurs.

Gurriers

Quand Dan Hoff, le chanteur de Gurriers, scande “I’m approachable !” en refrain du titre du même nom, ça sonne comme si un pot de Nutella hurlait “je suis non-calorique!”. Et pourtant, difficile de ne pas replonger le doigt dans le post-punk de ces Irlandais, dernière émanation de la décidément très prolifique scène dublinoise (Fontaines D.C., The Murder Capital). Une poignée de singles a suffi à vicier l’atmosphère autour de ce groupe composé de cinq colocataires (dont quatre moustaches) en mission pour définitivement auréoler Dublin du titre de capitale du rock tapageur.

Hania Rani

Un certain vague à l’âme puisé sur les bords de la Baltique, là où elle a grandi, semble colorer les compositions de la Polonaise Hania Rani. Cette Mer Baltique doit drainer des courants atlantiques, si l’on en croit les effluves islandaises qui émanent des pièces ouvragées au piano par la native de Gdansk : l’insulaire Ólafur Arnalds est d’ailleurs du générique de Ghosts, le troisième album d’Hania Rani. C’est cet envoûtant chant sirénien, ce piano délicat éclaboussé de gouttes électroniques, qui lui a définitivement ouvert les portes de ce grand club “néo-classique” qui a propulsé Nils Frahm, Sofiane Pamart ou Riopy dans les oreilles du grand public. Sur scène, Hania Rani s’entoure richement d’un piano droit, de claviers divers, d’un contrebassiste et d’un piano à queue : sirénien on vous dit…

Isaac Delusion

Oh regardez, là-haut ! Cette belle note bleue, qui passe et repasse depuis une dizaine d’années au-dessus de la pop française, c’est la voix (délicatement lactée) d’Isaac Delusion, une constellation formée par quatre astres défiant l’équilibre entre agitation tropicale et mélancolie saccadée. Apparu sous les auspices éclatants d’un Midnight Sun, les quatre Parisiens ont su forger un sillon neuf dans le paysage pourtant labouré de toutes parts de cette scène hexagonale qui zieute les côtes anglo-saxonnes et les apostrophent dans leur langue : de la pop à contempler d’où que l’on se trouve, car volant dans des altitudes vertigineuses. Le timbre d’Isaac Delusion est ainsi devenu aussi emblématique que, disons, les bijoux de L’Impératrice, leur consoeur de label. Levez les yeux, Isaac Delusion traverse de nouveau l’atmosphère.

Jeanne Cherhal

Si France Gall était “la petite sœur des Français”, Jeanne Cherhal est notre cousine nantaise, celle dont chaque coup de fil réjouit, celle qu’on sait épanouie dans son étrange métier de saltimbanque, celle qui a déjà partagé le canapé de Michel Drucker… Notre cousine Jeanne repasse nous voir cette année, et elle a de bonnes nouvelles : six ans après L’An 40, c’est au bras de Benjamin Biolay qu’elle nous revient avec un album qu’il a réalisé. On sait leur connivence depuis le fabuleux Brandt Rhapsodie qui ornait La Superbe. Nulle surprise donc que l’alchimie persiste : “il a relevé ce défi avec grâce et inspiration, en portant mes chansons bien plus haut que je ne l’imaginais.” nous écrivait-elle récemment sur Facebook. Chère Jeanne, tu es toujours la bienvenue à la maison, tu le sais, tous tes cousins et cousines ont hâte de t’entendre. N’hésite pas à venir avec Benjamin, il fait partie de la famille, lui aussi.

Julia Colom

La révélation religieuse prend parfois des formes très humaines. C’est au contact d’un chant grégorien inscrit au patrimoine de son île des Baléares que Júlia Colom a rencontré sa voix. Si le chant de la Sybille est traditionnellement réservé aux célébrations de Noël et se pratique entre de vieilles pierres et a cappella, la jeune Mayorquaise l’a rapidement exporté vers des rivages contemporains. De révélation il fut encore question quand elle auréola ce chant mystique de guitares catalanes et de douces textures électroniques. Son premier album, Miramar, pourrait être la bande-son d’une liturgie des lumières de la Méditerranée, tangue avec grâce entre la félicité et la mélancolie, et s’adresse non pas au plus haut mais à nous autres.

Kalika

Le propre des plus élégantes parures ne serait-il pas, sous leur empilement de couches et leurs facéties couturières, de préserver l’identité naturelle de son porteur ? Sous des aplats synthétiques criards et des fantaisies vestimentaires qui donnent enfin raison aux spéculations de nos ancêtres sur la mode du 21e siècle, Kalika parvient à faire dominer, voire même surbriller, le caractère effronté d’une enfant du siècle et le raffinement trempé dans l’acide de sa voix d’ange. Avec Adieu les monstres, son premier album, la jeune Avignonnaise se poste avec panache en tête de cortège des énergies juvéniles les plus coriaces : féminisme en adresses directes, liberté de ton décomplexée et histoires de cul banales ou bien regrettables. Le personnage Kalika, façonné par Tik Tok et la télé-réalité, est une œuvre ; Il reflète sans la déformer l’artiste qui s’y love,  pour transformer ses émotions en chansons à la portée grandiose. Avant on appelait ça “de la pop”. En 2023, garnie des dimensions virtuelles de nos vies et de la vitesse des réseaux, elle est devenue “hyperpop”. Kalika n’a pour l’heure aucune concurrence sur ce terrain.

Kompromat

Faut-il voir un oxymore dans l’union d’un producteur de musique électronique aux basses replètes et acides et d’une chanteuse punk qui puise dans le mouvement riot grrrl l’essence de sa rage ? Peut-on marier l’hédonisme et le cri de guerre, l’oubli et l’implication ? Cet oxymore, s’il en est, Vitalic et Rebeka Warrior l’ont érigé au rang d’art avec Kompromat en signant en 2019 l’alliance du rêve et de l’existence (Traum und Existenz). Dans un geste très berlinois - et pas seulement parce que germanophone - Kompromat célèbre l’union de la moiteur des clubs et d’un engagement sans compromis. Le duo se nourrit de cette tension, créant des morceaux qui invitent autant à la réflexion qu’à l’abandon corporel, où la fête devient un exutoire et un espace de résistance. Kompromat est bien plus qu'un simple projet musical : c'est une invitation à danser sur les ruines d’un monde à reconstruire.

Las Robertas

Le Costa Rica est régulièrement classé, selon des indicateurs très sérieux, comme l’un des pays offrant la meilleure qualité de vie. Un indicateur manque toutefois à cet algorithme indispensable, auquel répond avec brio Las Robertas. Le quintette de San José, capitale de cet état d’Amérique centrale, abonde avec un constat évident : Love is the Answer. C’est le titre d’un troisième album qui place l’évidence en loi fondamentale, le rock psychédélique inspiration sixties en ancien combattant à vénérer et les plus beaux souvenirs des années 90 comme mémoire collective à célébrer. On pense en effet à Slowdive ou à The Dandy Warhols à l’écoute de ces power songs troussées avec juste ce qu’il faut de mélodies et de rugosité pour atteindre le bonheur.

Luther

La poésie de Luther s’articule autour des « détails de sa vie de merde ». Désarmant de sincérité, le rappeur confiait l’année dernière sur l’album Garçon ses plus intimes contradictions habilement mêlées à ses plus entêtantes obsessions : un rap de nerd finalement très attachant, forgé durant cette période surnaturelle de chacun pour soi nommée confinement. Cette génération Zoom abîmée de la new wave a ajouté aux considérations sociales des problématiques introspectives, se produisent cagoulés et entretiennent un rapport conflictuel avec le miroir. C’est dans le noir de sa chambre que Luther a taillé ses crayons avec urgence, jusqu’à leur donner la forme de masques et de plumes.

Malted Milk

En 1937, Robert Johnson s’évertuait à boire du malted milk - une boisson sucrée populaire au début du XXe siècle - pour chasser de son esprit un amour perdu. Peine perdue : la boisson en question semble au contraire être un très puissant booster mémoriel puisque presque cent ans plus tard (et trente après que Clapton l’ait jouée unplugged), la mémoire du blues est plus vive que jamais au sein de Malted Milk, l’un des plus beaux hommages du vieux continent à la musique noire américaine. Le septuor nantais, après 25 ans de carrière, conserve précieusement la recette du plus chaleureux des grooves, funk, soul et apparentés, porté par la voix d’or d’Arnaud Fradin. Dix ans après un concert-anniversaire mémorable (évidemment) capté au Stéréolux, Malted Milk s’apprête à décapsuler à nouveau son élixir de jouvence.

Mezerg

Les moins de cinquante ans devront certainement googler Rémi Bricka pour découvrir combien d’instruments peut maîtriser un seul musicien en même temps. Accompagné de ses colombes, cet homme-orchestre promettait la vie en couleurs. C’était avant la création des Zénith et même l’apparition du CD. Dans sa version contemporaine, “homme-orchestre” se dit Mezerg, et si les couleurs ont un peu disparu du paysage, les rythmes se sont accélérés. Le Bordelais a ni plus ni moins inventé son art, un piano augmenté de sons électroniques, de percussions et d’un thérémine. Naïvement, il a appelé ça Piano Boom Boom et c’est naturellement que les couleurs en jaillissent et que les colombes s’envolent. Qui a dit que c’était mieux avant ?

Moon Hooch

Sur deux rails en cuivre et à un rythme étourdissant, le trio Moon Hooch est lancé à la conquête de ce territoire sauvage que bordent jazz, hip hop, afrobeat et electro. Michael Wilbur, Wenzl McGowen et James Muschler se jouent des frontières depuis leur iconoclaste vaisseau assemblé dans le fertile Brooklyn : deux saxophones et une batterie, que ces jeunes gens passés par la même école de musique ont longtemps trimballés jusqu’aux quais du métro new-yorkais. D’après la légende urbaine, c’est la police qui faisait alors office de service d’ordre pour une immense foule captivée. On dit aussi que le ‘A Train’ cher à Duke Ellington pouvait marquer plusieurs fois l’arrêt sans parvenir à détourner l’attention de ce public pourtant réputé exigeant. Cerise sur le gâteau de leur répertoire, une cover totalement improbable du tube d’eurodance allemand All Around the world (la la la la la la). Moon Hooch démontre que des rails parallèles tels que jazz et dance music peuvent finalement bien se croiser.

OPAC

Dès l’entame de Songs For A Second Grace, troisième album de Pierre-Alexis Cottereau sous le nom d’OPAC, l’esprit de Nick Drake vient taper au carreau. En temps normal, on serait surpris, effrayé même (un mec mort il y a 50 ans qui s’invite pour l’apéro…), mais la magie de la musique folk ne serait-elle pas précisément d’invoquer des fantômes ? Les guitares du Tourangeau expriment une certaine lascivité, mais aucune lassitude : ce n’est pas le passé que vise OPAC mais ce délicat territoire, autrefois reluqué par l’illustre Britannique, entre les cieux et la terre. C’est en partie à Ouessant que Cottereau et trois compagnons ont atteint ce lieu mystique en même temps que la seconde grâce qui fait office de promesse-titre. En novembre 2024 on célèbrera les 50 ans de la disparition de Nick Drake : avec son album et sa tournée, OPAC lui offre comme une seconde vie. Ça vaut bien un petit apéro pour fêter ça.

Patrick Watson

Le dernier titre publié par Patrick Watson commence par ces mots : “j’ai perdu ma voix”. Puis le facétieux Canadien passe quatre minutes à prouver le contraire, et même à démontrer que sa maîtrise vocale n’a jamais été aussi magistrale et aussi bien insérée dans ce fastueux folk orchestral qui l’accompagne - et nous accompagne - depuis vingt ans. Silencio, c’est le nom de ce morceau, décidément trompeur, qui fait jumeler la voix de Watson avec celle de November Ultra. La francophilie du barbu de Montréal n’est plus à démontrer, pas plus que la place unique qu’il occupe dans la plus délicate branche d’une musique mélancolique composée au piano et agrémentée de riches bourgeons de cordes ou de cuivres. La beauté semble pouvoir encore jouer un rôle dans ce monde, puisque son titre Je te laisserai des mots est devenu récemment le premier morceau chanté en français à dépasser le milliard d’écoutes sur Spotify. Unis par la langue, liés par l’amour de Patrick Watson : merci le Canada.

Porridge Radio

“Les nuages dans le ciel seront toujours là pour moi” : Dana Margolin, à la proue de Porridge Radio, sait-elle si le titre qu’elle a choisi pour son cinquième album est un bon présage ou une malédiction ? Toujours est-il que les nuages en question sont annonciateurs de perturbations dantesques qui inondent un grand album marquant avec fracas l’entrée du groupe de Brighton dans la monarchie du rock indé britannique. Les nuages, de fait, sont l’un des ingrédients de la compositrice, chanteuse, guitariste et plasticienne Margolin dans sa confection impeccable de chansons autant rageuses que mélancoliques. Une rupture amoureuse et une profonde introspection ont déposé sur les guitares du quatuor des braises brûlantes de sincérité, et l’on n’attend plus que la charismatique leader souffle dessus sur scène. La monarque PJ Harvey peut envisager sa succession avec sérénité.

Rounhaa

Issu de la vague qui a déferlé sur Soundcloud avec l’ambition de redéfinir les codes du genre, Rounhaa s’est fait un nom sur le label de Disiz et avec l’album MÖBIUS en 2022, collection de confidences aux pulsations rageuses. Un signe ne trompe pas : ils sont finalement peu à manier la douceur des consonnes pour faire groover la langue et en plus drainer un signifiant identificatoire. Dans cette new wave désormais bien établie, le rap de Rounhaa se distingue par une certaine mélancolie fielleuse, et ses productions par une sophistication qui ne fait pas l’économie de la brutalité. Le rappeur franco-suisse confesse une admiration pour Tyler, The Creator et son compatriote Makala. On grandit toujours plus vite quand on a des grands frères.

Shannon Wright

“Qui n’a jamais contemplé sur scène Shannon Wright mélanger la rage et la grâce n’a pas assez vu de concert”, dit un vieux proverbe occidental. Que les superstitieux se rassurent, l’Américaine n’a pas fini de convertir les incrédules comme elle le fait avec bien trop de discrétion depuis 25 ans. Le siècle a maturé avec la musique de Shannon Wright, et l’on se demande bien dans quelle panade on serait s’il en avait été dépourvu. Qu’elle s’accompagne d’un seul piano, de Yann Tiersen ou d’une guitare et d’un groupe, Wright magnétise sans apparat, sans superflu, à la seule force de sa voix et d’un songwriting titanesque. Est-ce encore du rock quand l’instrument principal d’une musique est l’âme ?

Solann

Une apparition. Solann imprime l’âme d’une façon irréelle, qui tient à la fois à une présence ensorcelante et à un charisme diaphane. La raison de cette magie se trouve forcément dans la force des comptines néo-folk que compose au ukulélé la fluette jeune femme, mais aussi à ses confidences troublantes mêlées de saillies révoltées contre le patriarcat : c’est certainement ce point de vue tyrannisant qui donne son nom à Monstrueuse, premier album en forme d’explosion sensorielle et de sortilège. Solann s’auto-proclame “sorcière réconfortante”. Dès lors on ne s’étonnera pas de la situer proche de Pomme dans la lignée des artistes dont la fragilité n’est que l’apparence d’une forme rassurante d’empouvoirement. “Sorcière” c’est à débattre, ensorcelante c’est assuré.

Swirls

Le cadavre de Von Pariahs a été démembré puis réassemblé par quatre des docteurs Frankenstein qui lui avaient donné vie par électrification. Leur nouvelle créature a belle figure, elle se nomme Swirls, et si les membres ont été inversés (le guitariste, le batteur et le bassiste ont échangé leur rôle), la magie opère. Swirls est déjà pleinement fonctionnel, un pied post-punk, l’autre Garage, et des effluves de Pavement ou de Parquet Courts qui lui intiment une direction. Ça donne Top of the Line, un premier album réalisé dans l’envie, la joie et une certaine détermination à ne pas jouer pour se regarder jouer. Ça donne surtout un rock brut, espiègle et réjouissant.

The Limiñanas

Marie et Lionel Limiñana ont dans leur répertoire téléphonique de quoi faire un sacré banquet amical : Laurent Garnier, Emmanuelle Seigner, Brigitte Fontaine, Etienne Daho, Bertrand Belin ou encore Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre ont tous succombé au charme fou du rock psychédélique des Perpignanais. Fait assez rare pour des Français, c’est aux Etats-Unis que ces deux-là ont d’abord trouvé une reconnaissance avant d’enfin écumer les salles et festivals en leur pays. C’était il y a une dizaine d’années et depuis, les Limiñanas n’ont cessé d’exciter le cercle grandissant des amateurs de guitares fuzz. La connexion catalane - certains diront surréaliste - qui lie le couple à Pascal Comelade a encore accouché d’une merveille instrumentale où le riff règne en maître et abrège tous les débats sur la soi-disant agonie du rock. Perpignan centre du monde !

Timber Timbre

Si Taylor Kirk a un nom de capitaine de vaisseau spatial, c’est sans doute qu’il vient d’une autre galaxie, une sorte de nébuleuse sépia où l’on communique via des fréquences finement choisies. C’est ce qu’essaie de nous faire comprendre le Canadien (ou plutôt celui qui se fait passer pour tel, donc) depuis une dizaine d’années. Mais nous, pauvres Terriens, ne faisons qu’accueillir, béats et intimidés, ces chants martiens, à nous en repaître inlassablement sans en saisir la portée astrale. Kirk est seul ici bas à manipuler ces ondes sensuelles qui ne font qu’emprunter le canal auditif pour atteindre le cœur. Notre chance est qu’il continue de nous en abreuver malgré nos modes de communication primitifs, conscient de leur effet. Et finalement, peu importe le signifié quand le signifiant est d’une telle clarté. L’humanité finira par relire l’œuvre siglée Timber Timbre sous le bon prisme, un grand élan d’amour pour l’humanité forgé dans le plus persistant des matériaux : un rock crépusculaire qui s’est dernièrement paré d’éclats inattendus. Il faut croire que nous autres Terriens savons devenir attachants.

Wallace Cleaver

L’introspection pourrait figurer, à côté du graff’ et de la danse, dans les disciplines du hip-hop. Encore faut-il l’aborder avec sincérité et y tremper son rap avec discernement. A ce jeu-là, Wallace Cleaver excelle. Le rappeur du Loir-et-Cher, à pas feutrés et avec une poignante simplicité, ouvre son cœur dans ses textes pour parler de sa famille, de son enfance, de ses parents divorcés… On citerait bien Nicolas Mathieu pour les vraies bouts de vie dans la France des campagnes, lui cite plus volontiers Proust. C’est bien à la recherche d’un temps perdu qu’est lancé Léo “Wallace” Gond, et lorsqu’il fait figurer un message vocal de son grand père dans une prod, rien ne semble inapproprié. Les accords de piano sont plus souvent mineurs que majeurs et la nostalgie domine dans ce rap à fleur de peau mais aucune fébrilité n’y pointe : l’émotion véritable est peut-être finalement le meilleur carburant de la discipline.

YHWH Nailgun

Il y a quelque chose d’à la fois primitif et de très sophistiqué dans le rock de YHWH Nailgun, comme si les quatre New-Yorkais étaient parvenus à connecter les différents lobes de leur cerveau. En jonglant avec la machinerie implacable de Battles et le velours d’un certain art rock trempé dans l’acide punk, YHWH Nailgun fait tout pour désorienter. Les vocalises de Zack Borzone ajoutent encore au trouble, implorant plus qu’il ne chante. Brooklyn a peut-être encore une fois la clé de l’avenir des guitares.

Youth Lagoon

Trevor Powers explique avoir écrit et composé Rarely Do I Dream comme on tombe amoureux des mystères de la vie. Ce goût des bonheurs indicibles, celui qui avait un temps abandonné son alias de Youth Lagoon l’a sans doute développé après avoir perdu pendant quelques mois l’usage de sa voix. C’est donc une résurrection comme un traité de paix avec lui-même qu’opère l’Américain dans cette ôde “à la famille, à la couleur du soleil et à son chien”. A sa pop rêveuse et sophistiquée par endroits, Powers a collé des extraits de vidéos exhumées de son enfance, et ouvre ainsi d’une façon singulièrement sentimentale les portes de la psyché d’un grand tourmenté. Comme on pourrait le diagnostiquer d’un Bradford Cox, démiurge d’un autre monument de la mélancolie indie (Deerhunter), Youth Lagoon effrite ses angoisses en chansons et atteint le vertige existentiel.

Ada Oda

Victoria Barracato pourrait très bien chanter la carte de Pizza Pino, épaulée par les rythmiques sèches et les guitares malignes de son groupe Ada Oda, ça ferait un tube. Formé à Bruxelles par un aréopage de musiciens d’horizons divers (la capitale européenne, sa centaines de langues, symbole de l’union des peuples!) Ada Oda semble s’être débarrassé de toutes les directives stylistiques pour concevoir son menu dans un carrosse disco pop délicieusement brinquebalant. Où l’on découvre que l’italien sert aussi bien à engueuler qu’à séduire : agile autant dans le post-rock que la sérénade, Ada Oda est le glaçon à l’eau de Sicile qui rafraîchit n’importe quel cocktail. Un Amore Debole, le premier album du groupe, est sorti en 2022. Ceux qui ont fait italien LV2 comprendront pourquoi ce titre est si trompeur.

Ascendant Vierge

Pour porter leurs messages, Mathilde Fernandez et Paul Seul ont choisi le plus véloce des véhicules électriques : une techno tendance gabber dont la frénésie enveloppe les envolées lyriques d’une Mylène Farmer sous amphétamines. Racontée comme ça, l’ambition du duo peut sembler inoffensive. Mais c’est bien la pulsation de la génération Z qu’Ascendant Vierge est parvenu à encapsuler dans ses productions, qu’on les étiquette hyperpop, techno mystique ou chant du cygne d’une certaine civilisation… La rencontre du cofondateur du collectif parisien Casual Gabberz et d’une mystérieuse chanteuse et musicienne aux accents néo gothiques sous le signe de la Vierge a donc accouché de l’avatar musical ultime de cette génération pour qui le mouvement urge à mort : où l’on retrouve l’essence de la culture club, son office cathartique.

Bawo

Londonien d'origine nigériane, Bawo produit un rap rêveur qui nous guide à travers son quartier natal de l’ouest de la capitale britannique, jusqu’au plus profond de ses songes. Avec Legitimate Cause, son premier album, le rappeur fait preuve d’une amplitude vocale et stylistique démesurée qui le consacre d’ores et déjà comme le plus grand espoir du royaume.

Blonde Redhead

Depuis 30 ans, l'astéroïde Blonde Redhead est le phénomène le plus fascinant de la galaxie. D’abord obstinément dirigé vers le noyau sonique - il en a hérité une inusable comparaison avec Sonic Youth - il se fractalisa à son entrée dans l’atmosphère terrestre. On parle alors de météore : un corps céleste caractérisé par sa traînée lumineuse. Celle de Blonde Redhead c’était en 2004, et sa mutation s’acheva sous la forme de Misery is a Butterfly, sommet de pop exquise qui accrochait la voix gracile de Kazu Makino au firmament des orchestrations des jumeaux Pace. Le trio américano-italo-nippon assemblé à New York trouvait sa pleine expression, nourrie des accélérations noisy passées. La poignée d’albums parue depuis a achevé de consacrer Blonde Redhead comme un astre indélébile, baignant de sa lumière un large spectre allant du rock bruitiste aux contemplations rêveuses de l’indie pop.

Brian Jonestown Massacre

Longtemps, la bande d’Anton Newcombe fut “ce groupe qui se fout sur la gueule sur scène”. On doit surtout au film Dig! d’avoir associé les shows du Brian Jonestown Massacre à des parodies du Jerry Springer Show mais le Californien a lui aussi savamment entretenu cette légende : il y a quelques mois encore, le groupe annulait une partie de sa tournée australienne après une énième bagarre survenue en plein show. Le turn over au sein du groupe fait autant partie de son ADN que le caractère tempétueux de son frontman mais le plus redoutable, c’est que jamais, en 30 années de secousses extra-musicales, Newcombe n’a déposé les armes. De ces secousses, BJM semble même avoir fait un carburant, s’imposant comme les vétérans d’un rock psyché enraciné dans le sous-sol sismique de la Californie. Car entre les pugilats prépubères, il y a cette vingtaine d’albums aux volutes toxiques, ce véritable don pour transformer les salles européennes en road (bad?) trips hallucinés, et tant mieux si Newcombe ne sait toujours pas contrôler ses pulsions : elles sont contagieuses.

Championne

Le laboratoire de la cold wave n’a pas fini de produire ce froid qui réchauffe. Une fois de plus, c’est à Rennes que se dresse le ventilo, et c’est sous le nom plein d’audace de Championne qu’il souffle. Repérée par les Transmusicales, Mathilde Lejas manie avec aisance cette science des contraires qui a donné ses plus belles heures aux courants givrés du rock : voix faussement fragile sur guitare lacérée, ample synthétiseur et basse sentencieuse parcourus de textes aux sublimes faux-semblants : le dérisoire Bilboquet avec lequel se présente Championne est le sceptre d’un discours puissant sur la soumission sexuelle. Dans le vent glacial de ce siècle, la Rennaise nous tend son miroir implacable : terrible mais providentiel.

Cosmopaark

Oui, Cosmopaark porte dans son ADN des tourbillons shoegaze de My Bloody Valentine et des flashs de Gus Van Sant, mais ce n’est pas dans les références, aussi belles soient-elles, qu’il faut chercher le sel de la musique du trio bordelais. C’est plutôt dans un certain ordonnancement du chaos que réside la recette Cosmopaark, une maturité certaine à agencer déflagrations noise et ondées harmoniques. Auteurs du meilleur album de shoegaze de 2023 selon Mowno, ils n’ont pas voulu laisser s’échapper 2024, qu’ils ont gratifié d’un nouvel EP qui s’élève très haut dans le ciel encombré des mois passés. De nuages dream pop en explosions foudroyantes, ce chaos là, quoiqu’en pense le GIEC, est sous contrôle.

Death Valley Girls

Un double feature signé Rodriguez et Tarantino s’intitulant Death Valley Girls et qui mettrait en scène des amazones casquées dans le désert, ne serait pas plus excitant que de suivre la traînée de poudre répandue par ces rockeuses californiennes depuis une dizaine d’années. Bonnie Bloomgarden (patronyme on ne peut plus tarantinesque), chanteuse et cheffe du gang, incarne le chaînon manquant entre héroïne proto punk, diva hippie et chamane rétro : peu importe l’époque d’où viennent ces fuzz de la Vallée de la Mort, l’urgence est l’ingrédient principal de ces montées en température. La crise mystique qui a présidé à la création d’Islands in the Sky cette année - un album composé à l’intention de sa future réincarnation ! - n’a même pas eu raison de son divin secret, mélange de rock garage et de pop ardente.

Dombrance

Disco, électro et cinquième république : kamoulox ! Dombrance fait mieux que David Pujadas dans le name dropping politique dans un projet d’autant plus fou qu’il fonctionne à la perfection. En confectionnant des hymnes dansants en s’appuyant sur des figures d’hommes et de femmes politiques, idée post-moderne s’il en est, Dombrance a ni plus ni moins créé un nouveau référentiel. “Et toi, t’es plutôt Poutou ou Fillon ? - Je préfère la basse ronde de Taubira !”, voilà le genre de réflexions qu’ouvre la République Électronique du producteur français, qui a littéralement obsédé les dancefloors avec ses chants élyséens et son sens de l’absurde. Dombrance fait plus que citer à la volée les politiques, il les enrobe d’onguents savoureux pour qu’enfin, chacun s’empare de la chose publique.

Elephanz

Consacrés par les plus enivrantes playlists des plateformes musicales (celles qui comportent les mots “Hits”, “Tubes” ou encore “Fièvre”), les deux frangins nantais qui dressent Elephanz ont aussi un temps trusté les spots publicitaires. C’est ainsi qu’on conquiert les cerveaux au 21e siècle : Oh Oh Oh Oh Oh Time For A Change ! Il restait à convaincre les cœurs, et l’affaire a vite été réglée au fil de tournées triomphales prolongeant deux albums… Il faut dire que les pattes d’Eleph’ consistent en une basse chaloupée imparable, marquant le sol d’une empreinte disco-pop aux contours parfaits. Un signe ne trompe pas : le duo chante de plus en plus dans sa langue natale, comme s’il se débarrassait d’un oripeau pour mieux se concentrer sur la sève : la composition des hymnes fédérateurs qui constituent l’essence de Rien de Personnel, le troisième album d’Elephanz.

FFF

C’était pas gagné d’avance, pourtant la bande de Marco Prince a bien réussi, au milieu des années 90, à faire de Barbès la capitale des grooves les plus chauds. La FFF fédérait alors, sur trois albums restés dans les annales du fameux “rock alternatif français”, les courants les plus enivrants de la funk, du rock et de toutes les émanations cuivrées de la musique afro-américaine. Marco, Yarol Poupaud, Nicolas Baby et Krichou Monthieux ont décidé de rallumer la fameuse flamme du fonck qu’ils avaient laissé s’éteindre vers 2001, puis tenté de rallumer ponctuellement ensuite… Mais cette année, c’est armé d’un nouvel album - le premier en plus de vingt ans donc - que les quatre reviennent pour une tournée qui n’a rien de commémorative. Puisque le groove est éternel, FFF ne peut mourir, et les premiers extraits d’I Scream, inespéré cinquième album de la Fédé, nous promettent des records de chaleur pour 2024.

Feldup

Youtubeur, c’est un métier, ne vous en déplaise, chers boomers. Dans le cas de Feldup, c’est un peu plus compliqué, nonobstant ses 1,4 millions d’abonnés : la première vidéo, celle qu’il expose en haut de la pile sur sa chaîne, est un extrait de son dernier album, qui ne procure pas du tout les mêmes sensations que les récits fantastiques qui ont fait son succès en ligne. Mais alors, youtubeur, est-ce son métier, ou un hobby qui l’occupe à côté de son véritable travail de musicien ? Le bilan de compétences devrait être bien bordélique, mais sur le diagramme des priorités, c’est bel et bien la musique qui émerge. Le label bordelais Talitres, décidément très fort pour les repérer, ces compétences, a cliqué sur “j’aime” à deux reprises, pour deux albums aux surprenantes inspirations new-yorkaises qui convoquent à la fois Radiohead, Interpol et les Strokes (d’autres youtubeurs qui ont eu leur petit succès en ligne, NdA)...

French 79

Pour son troisième album Teenagers, Simon Henner explique avoir voulu explorer les sentiments complexes liés à l’adolescence : la naïveté et la liberté, d’abord, mais les productions du Marseillais évoquent aussi avec beaucoup de délicatesse les nuages clairs de la nostalgie, la quête de repères et les souvenirs embués. Le format pop appliqué à la musique électronique, langage de French 79 depuis son épatant premier album Olympic en 2016, est un passeport pour le monde qu’il arpente en nouvel héraut de la french touch. Un passeport qui lui a ouvert les portes du studio de Jean-Michel Jarre, où il a enregistré une partie de Teenagers. Les fantasmes et réminiscences de l’adolescence ont alors facilement pu jaillir des claviers légendaires pour composer cet opus qui - c’est forcément un euphémisme - consacre la maturité d’un grand producteur.

Georgio

Dans sa version CD collector, le nouvel album de Georgio est vendu dans un sarcophage de béton : défi aux circuits logistiques de la distribution musicale ou métaphore du poids de ces années charnières où l’on devient adulte ? Années Sauvages, cinquième album du rappeur du 18e arrondissement, narre cet épisode crucial de la vie qui nous fait entrer de gré ou de force dans l’âge responsable. Avec le goût pour l’intime qui caractérise son rap, le tout récent trentenaire Georgio avait forcément des carnets entiers de réflexions introspectives à mettre en musique. Il l’a fait avec brio, invitant PLK et Josman et piochant allègrement dans les instrus mélodieuses qui ont contribué à lui bâtir une réputation depuis 2015. A 30 ans, Georgio n’est plus un ado, ce n’est pas encore un adulte non plus. C’est en tous les cas l’une des plus fines plumes du rap français.

Gogol Bordello

L’Europe de l’Est a peu d’occasions de citer dans le concert des nations. Eugene Hütz, Ukrainien d’origine, est devenu l’âme punk des Balkans lorsqu’il a émigré aux Etats Unis en y apportant la fièvre, la fougue et la démesure de leurs musiques traditionnelles. Frottées au bitume de la grosse pomme, ces ondes nomades sont devenues “gypsy-punk” et Eugene Hütz le frontman de Gogol Bordello, exubérante formation sans pareil. L’alliage s’est révélé miraculeusement fertile : du Kusturica no future, un joyeux pogo dans un poulailler. Cette antienne, l’actualité de son pays natal l’a rehaussée d’une énergie du désespoir. Le no future n’est hélas pas qu’une pose quand on vient de là-bas, mais il résonne encore plus dans les foudres des neuf membres de ce groupe résolument punk et admirablement résistant.

Gwendoline

Connaissez-vous le paradoxe de la cold wave ? Dans un monde parfait, les rythmes froids et lancinants qui labourent des sarcasmes désignant la médiocrité du monde n’existeraient pas. Et donc, ça ne serait pas un monde parfait. Gwendoline n’existerait pas dans un monde parfait, et cette assertion suffit à se satisfaire de ce bas-monde souvent bas du front. Les plus sordides endroits peuvent devenir les plus chaleureux, c’est la leçon que les rejetons de Joy Division nous récitent depuis près de 50 ans. La shlag wave développée avec une élégante nonchalance par le duo rennais transpire de cette si désirable morosité, trempée dans les galères du quotidien et les petites emmerdes. Très salée, très froide et très lucide : c’est une mer houleuse que charrie Gwendoline, désormais dans le giron Born Bad Records, et malgré tout ça on a très envie de s’y baigner.

High Season (Chloé + Ben Shémie)

Pour quiconque est porté sur les textures moites et l’electro languide, l’union de la productrice et DJ CHLOE et du chanteur de SUUNS Ben Shemie fait office de super-groupe : c’est le miracle High Season, qui marie enfin les deux représentants du dancefloor le plus poisseux de notre hémisphère. Avec CHLOE, le kick fait toujours semblant de s’évanouir tout en imposant sa présence. La voix de Ben Shemie, quant à elle, simule sa fragilité tandis qu’elle inonde notre cerveau. Ensemble, ils font mine de jouer pour eux mais produisent en réalité un langage qui s’adresse à la partie la plus enfouie du cortex, une musique électronique lancinante et hantée apte à capter la plus infime parcelle de notre conscience.

Izia

Quand est apparu ce nom en 2009, et qu’à cette évocation suivait immanquablement son patronyme, peu de commentateurs auraient parié que l’on verrait encore Izia au sommet des charts quinze ans plus tard. Let Me Alone ! s'époumonait alors Mademoiselle H, même pas 20 ans. Et simplement, patiemment, elle allait assembler une discographie cohérente, puissante, populaire et singulière, récemment augmentée d’un cinquième chapitre. De l’inaugural Izia à La vitesse, le langage musical a quelque peu évolué, passant d’une americana 220 volts aux hymnes pop de 2022, mais il a toujours veillé à ne pas laisser les fans de la première heure sur le carreau. Désormais, et ce n’est pas une moindre performance, Izia tient la main de l’icône Mylène sur le podium hexagonal de la pop de stade tout en ayant conservé son pédigrée à guitares. On parie que dans quinze ans, les stades seront trop petits ?

Joanna

Si Freud posait le deuxième album de Joanna sur sa platine (connectée à d’autoritaires enceintes Vienna Acoustics, bien sûr), il serait surpris de découvrir qu’entre le ça et le surmoi de la jeune Rennaise, les pensées sont rythmées de basses lourdes et scandées avec une grande détermination. Evidemment, les hymnes de Mylène Farmer ont ensemencé les synapses de l’enfant Joanna, mais c’est désormais dans l’axe Rosalia - FKA Twigs, dans une étourdissante parure pop, que l’horizon de la jeune femme se positionne, celui d’une immense liberté formelle et ultra contemporaine, que ce soit dans la représentation ou l’incandescente sincérité de ses textes. Les rapports hommes femmes y tapissent tous les recoins, par le prisme de l’amour ou de la violence, collés au plus près des corps et de la réalité.

Julien Granel

Un arc-en-ciel a auréolé une grande partie des festivals cet été. Vingt-six précisément, soit le nombre de scènes majeures que Julien Granel a éclaboussé de ses couleurs. Le Landais était cette année l’artiste le plus programmé dans les rassemblements musicaux, personnifiant comme une garantie de supplément de couleurs. Colorée, c’est sans doute l’adjectif le plus adapté à la pop sautillante d’un trublion pour qui le flashy compte autant visuellement que musicalement. Biberonné à Mika, c’est évident, Juju Granel lui a emprunté la volonté de célébrer la joie d’être ensemble, mais aussi une rigueur dans la production, une détermination à tirer le maximum de ses mélodies. Cooleur, l’album (le bonbon, plutôt) qui continue de lui faire surfer des licornes argentées près de deux ans après sa sortie, n’a pas encore livré tous ses secrets. Rendez-vous au pied de l’arc-en-ciel pour les découvrir.

Khakikid

Le rap du jeune Dublinois Abdu Huss aka Khakikid, 22 ans, est encore vert mais les comparaisons avec les plus grands de ses pairs sont déjà naturelles : la précocité de Kendrick Lamar et l’écriture inspirée de Loyle Carner dopées par une étourdissante plasticité vocale. L’EP sand bebé zigzague habilement entre uk garage et titres soulful. L’Irlandais Rejjie Snow a désormais un sérieux concurrent.

La Battue

La supernova rennaise de la pop éclabousse toujours l’univers de ses résidus harmoniques - et quels résidus ! Issus des brillantes formations bretonnes Mermonte et Totorro, Ellie et Bertrand concentrent dans le trio qu’ils forment avec la chanteuse et claviériste Yurie Hu le meilleur de leur pédigrée : ça s’appelle on ne sait trop pourquoi La Battue mais peu importe, cet attelage nouveau exhale d’étourdissantes poussées mélodiques. Avec la méticulosité et la fragilité d’un Grizzly Bear, La Battue a, de singles en EP, élaboré un son unique en France, fait d’urgences sereines, de contemplation inquiète et d’autres oxymores fertiles aux plus douces précipitations harmoniques. Leur titre Five to Nine est récemment entré en playlist sur la BBC 6 (la meilleure, celle de Lauren Laverne et Gilles Peterson!). Que de chemin pour une fragile frégate bretonne !

Lenparrot

Romain Lallement a des idées et il a un outil. Cet outil, c’est Lenparrot, son alter ego à la grande envergure vocale qui lui permet de transformer lesdites idées en de délicates structures sonores : base légère, aérodynamique, agencement sophistiqué, les chansons que Lenparrot assemble conjuguent l’évidence et la minutie. Comme tous les grands chercheurs de l’idéal pop, Lenparrot s’attache à tracer des lignes claires qui, vues d’en haut, forment de subtiles arabesques. C’est bien en altitude qu’il installe d’ailleurs l’auditeur, depuis les plateformes que constituent ses trois albums dont le dernier recèle une certaine douceur de vivre, celle que l’on entendait déjà avec Pégase, l’illustre groupe dont il fut, lui aussi, un formidable outil.

Lysistrata

Trois mecs peuvent faire beaucoup de bruit : quiconque a déjà vécu de façon mitoyenne avec une coloc étudiante le sait pertinemment. Les trois mecs de Lysistrata en ont carrément fait leur projet professionnel, validant d’emblée leur doctorat ès bruitisme avec The Thread  en 2017, premier album sur lequel Ben, Max et Theo faisaient se court-circuiter math rock, noise, pop et sentiments emo. Lysistrata intégrait aussitôt le Collège de France des meilleures formations de rock indé. L’épreuve du deuxième album passé avec brio en augmentant encore le curseur des ambitions - Breathe In/Out, en 2019, était vicieux et insaisissable comme une vipère - les trois Saintais allaient s’adjoindre les services d’un autre Charentais, François Marry, pour élargir encore leur spectre. Celui-ci est plus que jamais béant à l’heure de dévoiler les premiers accords d’un nouvel album qui s’annonce captivant : le titre annonciateur Horns, à l’efficacité et au son redoutables (que l’on doit à Ben Greenberg, producteur pour Metz et DIIV notamment), porte les plus grands espoirs.

Marta Knight

Un brin d’espièglerie de Courtney Barnett, une once du caractère frondeur d’Adrienne Lenker et un peu de Fiona Apple. La Barcelonaise Marta Knight s’est choisie un alias qui la rapproche de ces immenses consoeurs américaines, pourtant l’ADN de son folk témoigne à lui seul quand il s’agit de présenter son pédigrée à la douane du cool. Sur son passeport, les visas de Nick Drake, Johnny Cash ou des Smiths sont tamponnés depuis belle lurette, et le voyage a commencé dès 2017 avec un premier EP. L’escale principale - l’album Strange Times Forever en 2022 - reste une étape obligatoire pour qui aime la langueur des temps morts et la caresse des vents mélodiques simplement esquissés sur une guitare. Marta Knight pourrait faire sienne cette devise empruntée au club de foot de sa ville : “Mes que un Club Med”

Miki

Dans son approche renouvelée de la bedroom pop, Miki a tout loisir de piocher dans ses nombreux tiroirs qui débordent des vicissitudes de l’adolescence. A l’aune de cette génération d’artistes dont Miki peut légitimement ambitionner de prendre le lead, il faudrait redéfinir ce qu’on met dans notre acception de l’adolescence. Plus lucide, plus inclusive et plus désabusée aussi que celle qui lui précède, tendons à la jeune génération le flambeau : La franco-coréenne y répondrait avec un rire sarcastique. Elle n’a attendu aucune validation pour visiter les paradigmes qui lui chantent. Un clavier Nord Wave, une nonchalance désarmante (mais pas désarmée) et une écriture qui ne s’égare dans aucune métaphore : la bedroom pop c’est pour les vieux et l’hyperpop c’est quoi ? Admirons la Miki way, organique et touchante d’authenticité.

Mossaï Mossaï

Dans Cérébral, porte d’entrée du premier LP de Mossaï Mossaï, la scansion du mot-titre fait presque atteindre la satiété sémantique, ce phénomène qui fait perdre leur sens aux mots répétés inlassablement : déjà, en un peu moins de dix minutes, on en a pour la tête et l’abdomen, le conscient et l’inconscient. C’est cet effet quasi-synesthésique qui en a amené certains à comparer le rock noisy des Tourangeaux à un carrefour entre Sonic Youth et Brigitte Fontaine. Les Inrocks, eux, ont écrit “le bruit et l’apaisement”. Il y a certainement quelque chose du mitan dans la musique des quatre Mossaï, entre les échos troubles et répétitifs et le signifiant total. Du groove dans le bruit, quoi ! Une équation finement calculée qui place son point d’impact pile au niveau du plexus. Solaire, ça reste à voir…

Orange Blossom

Trente ans après, l’oranger continue de fleurir : la formation nantaise Orange Blossom, après avoir arpenté le monde entier, musicalement et physiquement, n’a rien perdu de son éclat à l’heure de reprendre la route. Rares et précieuses, chacune de ses floraisons minutieusement élaborée, a conquis davantage de public en synthétisant une musique électronique planante et les plus transcendants des rythmes orientaux : à l’époque on appelait ce miracle “worldbeat”. La mondialisation ayant désormais achevé la mise en réseau de la planète, ce ne sont plus les mélanges exotiques qui fascinent chez Orange Blossom, mais ses mélodies viscérales et la magie des pulsations qui les animent. Les Nantais du bout du monde reviennent avec un nouvel album annoncé comme un “voyage physique et sonore à travers le Mali, l’Égypte et Cuba”, dix ans après leur précédente escapade. Gageons que leur passeport est encore à jour.

Penelope Antena

Le groupe de studio de Penelope Antena est composé d’un piano central, de ses dix doigts, de réflexions douces amères sur l’amour, et de paysages : la forêt des Cévennes, les côtes et les bruyères du Finistère… La musicienne belge, installée en France, capture les plus inspirants éléments exo- et endogènes et les fixe en de troublants assemblages de sons organiques et électroniques. La parenté avec James Blake est évidente : la musique de Penelope Antena se drape dans un fin voile de gaze d’où percent des effluves d’un post Rn’B, folktronica hanté, jazz, soul, et surtout de la lumière. Sur James & June sorti cette année, la déesse Antena parvient à condenser en trente trop maigres minutes tout le réservoir des émotions humaines. Le Finistère a toujours été une terre de légendes.

Pépite

Il n’est pas de hasard, il est des rendez-vous : Pépite est apparu à temps sur la scène parisienne pour combler la disparition de Christophe et poursuivre l’oeuvre du moustachu de pourvoir une bande-son aux heures bleues, cet étrange espace-temps où se mêlent la torpeur, la résignation et les plus grandes aspirations. C’est cette sève bleutée qui point à la surface de chacune des miniatures pop du duo français, délices sentimentaux qui ont le bon goût en plus de vibrer sur le même timbre que le regretté dandy. Ornées de riches textures électroniques, d’échos nocturnes et d’effets psychédéliques tourbillonnants, les chansons de Pépite ont, dès Virages en 2019, redonné ses lettres de noblesse à ce que l’on a appelé avec snobisme la variété. Si cela désigne la variété des émotions, c’est alors le plus noble des labels.

Saavan

Dans son interprétation plastique, la musique de Savaan ressemblerait à un grand voile de textile souple délicatement déposé sur un canevas complexe de pieds rigides. L’electro downtempo du duo parisien provoque immanquablement la synesthésie : les images mentales se bousculent à l’entrée dans la vaste prairie que pigmentent Lucas Mokrani et Claire Lengaigne de leurs pièces soyeuses et mélancoliques. Elles sont d’autant plus mouvantes que Savaan manipule la dissonance avec grâce : aux structures rythmiques volontiers sauvages de ses productions répond la délicatesse aérienne des arabesques vocales. Depuis la sortie de leur premier album Chapters en juin 2022, Lucas et Claire ont ajouté une dimension hypnotique à leur œuvre de fascination en livrant un nouveau titre toutes les trois semaines…De quoi ne jamais retrouver le chemin de la ville.

Shelf Lives

Arrivez en retard si vous voulez terminer votre dessert, Shelf Lives n’exige de toute façon aucune mise en jambes particulière pour vous accoster brutalement et vous secouer par le col sans ménagement. Présenté partout comme le renouveau de l’esprit punk, le duo britannique use comme ses illustres ancêtres débraillés d’un minimalisme injecté de rage pour produire les meilleurs effets : guitare retournée à la vie sauvage et patchs électroniques affolés. Sur le vumètre de l’exaspération fertile, Sabrina Di Giulio ondule aisément de l’indice “Peaches” à celui “Dry Cleaning” et expose ses préférences : elle aime les filles “avec des dents en or”, “qui ne sourient jamais”, “qui ne portent pas de rose”... Nul doute qu’avec son guitariste Jonny, ils ont préféré aller voir Oppenheimer… Même s’ils savaient déjà comment tout exploser.

Souffrance

Depuis sa vigie montreuilloise, Souffrance a longtemps gardé une certaine distance avec le paysage du rap francophone, refusant de prendre part à la mêlée sauf pour y jeter un pavé par ci - C’est du lourd ta race en 2008 - ou régler quelques pendules - Le peuple a faim en 2015. Militant discret mais forcené au sein du groupe L’uZine, le trentenaire a finalement franchi les cordes du ring en 2021 en dégainant Tranche de vie. Sur ce premier album écrit et composé avec TonyToxic, le boom bap prenait le meilleur sur la noirceur des thèmes et s’illuminait de punchlines aiguisées des années durant. Dans la foulée, un Planète Rap et une apparition sur la compilation Le Clasico Organisé de Jul entérinaient son avènement. Souffrance a savamment entretenu les braises alors semées en diffusant, en octobre 2022, Tour de magie, un deuxième album qui le consacre définitivement comme l’un des parrains, aux côtés de Médine ou Rocé, de l’hexagone du micro.

TVOD

Un post-punk “eclectic, infectious, minimalistic”, c’est à peu près l’équivalent d’un couscous équilibré, authentique et réconfortant : c’est tout ce qu’on lui demande. Les New-Yorkais de TVOD ont justement la recette (du post-punk, pas du couscous a priori) et elle a déjà traversé au moins un océan grâce à deux albums d’une infernale évidence. TVOD, pour “Television Overdose”, a de glorieux ancêtres et s’inscrit crânement dans la plus belle lignée sonique de Brooklyn, celle des giclées de Television (tout court) ou des Parquet Courts pour ne citer qu’eux. Les deux filles et quatre garçons de TVOD ratissent tout ce que ces empreintes ont laissé de meilleur, fureur des cordes, mélodies inspirées et fronde exaltante : équilibré, authentique et réconfortant, finalement.

The Murder Capital

Dans le milieu, on appelle ça “faire une Talk Talk” : se défaire des atouts de son succès pour ne conserver que la sève de sa production, désorienter son public pour finalement marquer l’histoire. Les Irlandais de The Murder Capital avaient brillamment ébouriffé la scène post punk avec un premier album qui cochait toutes les cases : ambiance suffocante, batterie “martiale” et guitares “grinçantes” dans un pamphlet désabusé. Leur Spirit of Eden à eux, sorti en début d’année, s’intitule Gigi’s Recovery. Comme si le soleil avait enfin percé au-dessus de Dublin, la bande de James McGovern a délaissé les guitares frénétiques pour des atmosphères allégées, reléguant l’urgence à l’avant-pandémie. La poésie et le toucher viscéral, eux, sont toujours là. Le post-post-punk sera donc tout autant saturé que son parent mais de vibrations bien plus amples. Mine de rien, deux albums aussi féconds, ça forme déjà une œuvre. On lui souhaite la même postérité que celle de Mark Hollis.

Treaks

Le titre Tiny Brain déploie une boucle synthétique entêtante serinée par une rythmique lourde, si lourde… La lourdeur c’est précisément l’un des thèmes développés par Treaks sur ce titre, celle de ces “cerveaux minuscules” qui s’arrogent le contrôle du corps des femmes. Treaks n’aura donc pas mis plus de deux sorties à émarger du côté des groupes dits “engagés” pour qui la musique doit être un messager. Rien d’étonnant donc à repérer dans les sources d’influence des trois Nantais une mention des Psychotic Monks, autre grand vecteur de harangues politiques. Si le rock de Treaks est bien frontalement séditieux, il est surtout sauvagement efficace, mélange de punk bondissant et d’un synth rock jouissif porté par le chant cathartique de Clothilde Arth.

Warhaus

Quel encens brûle en studio quand Maarten Devoldere y enregistre ? Comment parvient-il à plonger l'auditeur dans une arrière-salle de café enfumée au milieu de la nuit alors même que celui-ci est en train de tourner pour se garer sur le parking d’un centre commercial ? Quels sont ces états d’âme qui colorent son timbre et lui confèrent tant de suavité ? Le quatrième album de Warhaus n’apportera aucune réponse à ces questions et c’est tant mieux : un certain mystère règne depuis toujours autour de la pop envoûtée du chanteur et compositeur de Balthazar, mystère qu’il porte à incandescence dans un itinéraire solo aux ornements aussi riches qu’une maison flamande. Cordes majestueuses, basse saillante, chœurs au cordeau, et cette science - toute aussi mystérieuse - pour ciseler des pépites dans les pleins comme les vides. Warhaus revient donc avec Karaoke Moon, et c’est peu dire que sous les auspices de l’astre lunaire, son éclat sera plus vif encore.

Yard Act

Leeds se trouve à quelques miles près en plein milieu de la Grand Bretagne, à mi-chemin de Londres et d’Edimburgh. Si l’on émet l’hypothèse que l’île est concave (pas plus conne que la Terre plate), alors on peut comprendre comment toutes les meilleures idées ont coulé sur les tronches des quatre lads de Yard Act,  James, Ryan, Sam et Jay. La prestance dandy de Jarvis, le post punk sautillant, les facéties des Talking Heads, jusqu’au disco aux OGM de LCD Soundsystem, déversés après cristallisation et par entonnoir dans The Overload, le premier album le plus sensationnel de 2022, oeuvre de ces jeunes effrontés du siphon que Le Monde avait auréolé de “meilleure bande-son des années Boris Johnson”. Un proto-disco-punk effectivement échevelé, validé par Sir Elton et encore fraîchement décoiffé sur un nouveau titre plus-british-tu-meurs : The Trench Coat Museum.

cumgirl8

Les quatre New-Yorkaises de cumgirl8 ont décidé de se fâcher avec le puritanisme dès qu’il a fallu se trouver un nom de scène, et continuent quatre ans plus tard avec un single en forme de délicieux hommage à la Cicciolina. Lida Fox, Veronika Vilim, Avishag Cohen Rodrigues et Chase Lombardo offrent une éclatante réincarnation du courant Riot Grrrl avec un post punk flashy qui prend en grippe le patriarcat et le capitalisme dans un réjouissant élan désinhibé.

Adi Oasis

C’est bel et bien une oasis qu’Adeline a à offrir : un asile envoûtant dessiné du bout de sa guitare basse et peuplé de funk et d’une nu soul aux plus scintillants contours. Le rêve de la jeune Adi Oasis était américain, et monumental : jouer pour Prince. A la mort du kid de Minneapolis, la jeune Parisienne aux origines martiniquaises ne jette pas son rêve aux oubliettes, elle le réarrange. Embarquée à l’âge de 19 ans dans un Paris-New York sans retour, celle qui s’est mise à la basse “par accident” ne tarde pas à se faire un nom. Anderson .Paak, Lee Fields ou les Britanniques de Jungle s’échangent son 06 en même temps que son aura grandit dans l’oasis des plus beaux grooves. Son premier album Lotus Glow en 2023, merveille de nu soul et fièvre contagieuse, achève de confirmer le statut de frontwoman de cette bassiste, chanteuse et productrice. Les plus prestigieux événements lui déroulent le tapis rouge, de Gand à Montreux en passant par Vienne et bientôt, donc, Nantes.

Baby Volcano

Lorena Stadelmann n’aime rien tant qu’entrechoquer les opposés : sa double origine suisse et guatémaltèque suffit à suggérer les courants contraires qui forment l’ADN de Baby Volcano, son trépidant avatar hyperpop. Rompue à la danse et à l’art du costume avec l’espagnol comme langue principale - le français étant son second couteau - son cousinage avec la Rosalía jaillit instantanément… Ce serait toutefois omettre certaines dimensions bien particulières à son propre exercice de rupture des canons de la pop. Baby Volcano pétrit les ambiances poisseuses de la trap avec maestria tout en en maîtrisant le tempo pour y déposer une étonnante voix à la candeur voluptueuse. En 2021, elle explorait le syndrôme pré-menstruel le long d’un fascinant EP qui examinait ses différentes manifestations, de l’utérus au plexus solaire : avec Baby Volcano, le trivial côtoie le sublime.

Bekar

Bekar trempe sa plume dans la poudre de brique rouge depuis 2018. Le Roubaisien a véritablement fait surface avec Mirasierra en 2022 et les bangers que sont Magenta et DEHØRS. Revenu avec l’épatant single Basquiat en feat avec Georgio, le rappeur du cinq neuf ne cesse de démontrer, d’ailleurs comme son comparse parisien, une incroyable capacité à jongler entre les styles et les flows. Parcouru de sincérité, le rap de Bekar est le récit de l’itinéraire d’un mec égaré entre les barres d’immeuble du Nord. Reprenant la supplique d’Aznavour d’un jeune homme “qui n’a connu toute sa vie que le ciel du nord”, Alex Becquart pourrait désormais également lui piquer sa confession de “s’voir déjà”... Un voeu pas si pieux que ça : les dates dans les grandes salles s’amoncellent déjà pour Bekar : l’avenir du rap sera assurément parsemé d’une poudre de brique rouge.

Bonnie Banane

Brigitte Bardot (première époque), Brigitte Fontaine et Brigitte tout court ont fusionné dans un cloud rempli de sons et d’images pour former une supernova nommée Bonnie Banane. La performeuse concilie avec une aisance bien de son siècle surréalisme et réalisme, chanson et acting et parvient surtout à dépasser tous les cadres connus qui entourent la pratique de la pop. En publiant Nini cette année, la fringante BB a pulvérisé les contentions et les frontières stylistiques. On y entend des hymnes révolutionnaires suaves, un jazz frondeur, le plus âpre r’n’b, et tout ça rien que dans une oreille, tandis que l’autre se prend à rêver à des territoires inexplorés que révèlent une écriture et une voix sublimes. Même Brigitte Bardot (dernière époque) applaudirait : “Y a presque plus de panda roux - Ils valent mieux que nous”.

Caballero & Jeanjass

Si on verse tous les albums et mixtapes de Caba et JeanJass dans la grande passoire à décibels, on peut récupérer, outre des centaines de grammes de beuh, suffisamment de références pop pour raconter le siècle en cours. Les Beavis et Butthead du rap belge ne se contentent plus depuis longtemps d’enfiler les punchlines comme les joints : ils sont devenus les entertainers autour desquels le rap se ressource, un totem du cool à la Snoop Dogg. Si on les identifie désormais volontiers à leurs délires fumeux sur Youtube (l’émission High et Fines Herbes n’est pas vraiment une émission de cuisine, figurez-vous), le rap reste l’ingrédient central de la recette. Dernières productions du C&JJ Universe, les mixtapes dérivées du show affichent un taux de THC et des featurings étourdissants.

Chinese Man

“Oxymore Groove” pourrait très bien caractériser le genre musical défendu par Chinese Man depuis plus de 20 ans : derrière ce “Man” s’ébat en réalité un trio qui agglomère avec appétit tous les courants groove pourvu que le kick soit rutilant avec les samples les plus exquis de la discothèque mondiale. Les DJs Matteo et High Ku et le beatmaker SLY, tels des Evelyne Dhéliat azimutés, continuent de désigner Marseille sur la carte du beat chaloupé, d’abord avec leurs Groove Sessions (la première en 2007, qui comptait le culte I’ve got that tune, reste aujourd’hui une référence) et à la tête de Chinese Man Records, le vaisseau de leurs emballements pour des artistes de tous horizons (Deluxe, Scratch Bandits Crew…). On imagine aisément les bureaux de CMR comme un carrefour des énergies rap, electro et consorts apportés par un mistral facétieux. Une énergie (propre) que Chinese Man parvient à restituer sur scène.

Crystal Murray

On pense d’abord à Crystal Waters et à son mythique hymne de 1991 Gypsy Woman. Il y a de cette intemporalité dans les titres de Crystal Murray, il y a aussi de cette indolence enjouée, d’une certaine détermination à jouir. Mais il y a bien plus : un pédigrée soul irréfutable, des influences panoramiques qui fraient d’un r’n’b glitché à une élégante pop électronique. On pense donc ensuite à FKA Twigs ou à Janelle Monae, et déjà on oublie le name dropping pour ne plus penser qu’à elle, cette jeune Française aux origines américaines qui à seulement 22 ans a déjà offert à l’hyperpop sa maturité. En deux EPs et un LP, Crystal Murray s’est déjà constitué le book définitif : La Da Dee La Da Da !

Deep Tan

Par une savante économie de moyens - mais pas d’idées - Deep Tan revigore le post punk britannique et participe à cette vague de sons rafraîchissants qu’ont contribué à lever black midi, Black Country, New Road ou Squid. Une vague dont les trois Anglaises diminuent la température, robinet à fond sur “cold”, et qu’elles surfent déjà en majesté sur deux EPs et une palanquée d’apparitions dans de prestigieux festivals.

Dumb Buoys Fishing Club

Si ce club londonien est encore relativement confidentiel, il commence à pêcher en haute mer : le NME a récemment classé leur single Fortune Teller dans ses fameux “New Bangers”. Un éclairage totalement justifié pour le r’n’b sautillant de ces deux potes aux larges filets qui leur permettent de saisir à la fois l’écume urbaine et les plus savoureux grooves du royaume. Leur premier album Life Jacket en est la preuve : on tient là un futur gros poisson.

Eloi

Rien ne semble sacré pour ELOI, gamine de la banlieue sud parisienne élevée aux Beaux Arts et sous pandémie. Rien n’est sacré, mais tout peut être vénéré : la musique de Nougaro comme celle de Wejdene, le songwriting comme la techno gabber. L’étoile du berger, pour ELOI, se nomme sans doute Sexy Sushi. Le duo electroclash nantais est pour beaucoup dans l’éclosion musicale de cette effrontée vocodée, et donc dans l’éclatement, en 2024, de Dernier Orage, premier album fascinant de liberté et de pistes ouvertes. Cette tempête sonore a d’ailleurs soufflé la fine fleur de la scène française : Flavien Berger, Jennifer Cardini ou encore The Psychotic Monks en ont livré leur version sous la forme de remixes. Un adoubement autant qu’un examen de souplesse révélateur. Test passé, avec mention.

Fat Dog

Signé chez Domino avant même d’avoir sorti deux titres, déjà comparé à Viagra Boys, Fat Dog a tout pour faire de 2024 sa niche, y compris le sens de la formule : le premier et ébouriffant single de ces Londoniens s’appelle King of the Slugs (“roi des limaces”), ils prétendent faire de la “musique pour faire repousser les cheveux” et enfin, annoncent sur Instagram être dispos pour les mariages, les enterrements et les circoncisions. On souhaite une bonne grosse toutournée à ce gros chienchien.

Forever Pavot

En bon citoyen du 21e siècle, Emile Sornin s’équipe sur Leboncoin ou dans les allées des vide-greniers. Dans son tote bag, des claviers vintage bien sûr, mais aussi des films analogiques. C’est en effet sur pellicule que Forever Pavot grave sa musique, quand bien même elle est dépourvue d’images. Avec L’Idiophone, sorti en mars 2023, le Parisien creuse le sillon très cinématographique qui l’a mené des bacs bradés au festival de Cannes (il a composé la musique des deux derniers films de Monia Chokri) : un psychédélisme naïf aux couleurs délavées et aux riches orchestrations. François de Roubaix et Jean-Claude Vannier se dissimulent mal sous la moustache de l’ancien étudiant en cinéma hébergé par Born Bad. Ce qu’elle ne dissimule plus du tout en revanche, c’est la signature singulière, unique dans la pop hexagonale, de cet artisan d’un Technicolor éternel.

French Cowboy & the One

La pandémie et son cortège de réflexions sur l’essentiel et le superflu ont failli avoir raison des ambitions artistiques de Federico Pellegrini, un temps décidé à “fabriquer des choses, des chaises, des tables”. Mais comme dans tout bon western, le French Cowboy s’est finalement remis en selle : à écrire. Depuis la fin des années 80, l’ambition artistique affichée par l’ex leader des magnifiques Little Rabbits est de “tuer la musique du père, la renouveler, et d’écrabouiller l’accordéon”. De musette il est en effet très peu question dans cette trajectoire singulière débutée voici dix ans sous l’alias French Cowboy and The One et qui s’orne d’un nouveau détour. Sur son troisième album intitulé Niente (“rien” en italien”), il est bien question de tout, et surtout de rien. Accompagné d’Eric Pifeteau, ex-Rabbit lui aussi, Federico dégaine un blues électronique libérateur dans un duel au soleil couchant sur dancefloor que seul Rebotini oserait affronter et dont Katerine serait le juge-arbitre.

Girl and Girl

On pourrait désormais créer un sous-genre de rock qui rassemble tous les groupes comportant le mot “girl”, et il constituerait à lui seul une excellente playlist (avec les regrettés Girls en tête de gondole). Les Australiens de Girl and Girl y trouveront une très belle place, dans une version garage revigorante. Depuis son adoubement par le mythique label Sub Pop, tout s’accélère pour Girl and Girl : les shows se succèdent en Océanie comme sur les continents, et le groupe est déjà identifié comme l’une des plus grandes promesses sur lesquelles il faudra compter.

Gogol Bordello


L’Europe de l’Est a peu d’occasions de citer dans le concert des nations. Eugene Hütz, Ukrainien d’origine, est devenu l’âme punk des Balkans lorsqu’il a émigré aux Etats Unis en y apportant la fièvre, la fougue et la démesure de leurs musiques traditionnelles. Frottées au bitume de la grosse pomme, ces ondes nomades sont devenues “gypsy-punk” et Eugene Hütz le frontman de Gogol Bordello, exubérante formation sans pareil. L’alliage s’est révélé miraculeusement fertile : du Kusturica no future, un joyeux pogo dans un poulailler. Cette antienne, l’actualité de son pays natal l’a rehaussée d’une énergie du désespoir. Le no future n’est hélas pas qu’une pose quand on vient de là-bas, mais il résonne encore plus dans les foudres des neuf membres de ce groupe résolument punk et admirablement résistant.

H JeuneCrack

Jeune Crack : le nom était tout désigné pour cet autodidacte complet qui a procédé au home staging traditionnel de la new gen en transformant sa chambre en studio d’enregistrement. En mars 2021, son 1er Cycle fait acte de naissance de l’un des plus prometteurs lyricistes du pays. Sur des productions vaporeuses ou carrément éthyliques, le kid de Toulouse presse l’exercice de l’egotrip jusqu’à l’ivresse des profondeurs. Pénible d’aisance au micro, de sa voix douce dont la nonchalance dissimule une technique insolente, H JeuneCrack a construit son mythe avec un 2ème puis un 3ème Cycle qui confirment sa place unique dans le paysage du rap français que la génération Z adule, à un endroit où toutes les sources streamables se rejoignent. Si Miles Davis était né au 21e siècle, il aurait fait du rap.

Holly Macve

Dans le Los Angeles fictionnel bâti à cheval sur les années 50 et 2000, deux immenses billboards se font face. Sur l’un, Lana Del Rey fait une moue devenue mythique. Sur l’autre, Holly Macve la toise, essayant d’attirer à elle les rayons du soleil californien. Elle pourrait bien y parvenir dans le monde réel, cette Irlandaise portée sur la côte Ouest et les ballades folk intemporelles qui parviennent à tirer les plus beaux reflets du noir et blanc. Les deux divas ont fini par se croiser, et leur collaboration, titrée Suburban House, a la grâce des évidences.

J.Bernardt

La Belgique cultive une élégante discrétion dont les trésors, pour qui ose s’y intéresser, sont innombrables : cette lapalissade qu’on trouverait dans n’importe quel guide touristique paresseux vaut également pour J.Bernardt. Au moment crucial du deuxième album, celui qui a révélé sa voix et son talent de songwriter au sein de Balthazar reste nonchalamment installé derrière cet écran de fumée qui sied si bien au cabaret obscur pour lequel il compose. L’élégance, la nonchalance : les deux accessoires indispensables à tout costume de crooner, celui qu’enfile si habilement Jinte Deprez depuis Running Days en 2017 et qu’il s’apprête à ressortir sans aucun faux pli. Le Gantois poursuit sa quête de la chanson pop parfaite avec Contigo. Et s’il la frôle encore nonchalamment, c’est avec la plus élégante discrétion qu’il livrera ses trésors.

Johnny Jane

Une biographie qui cite autant Françoise Hardy que les Strokes et King Krule sur la même ligne que Sébastien Tellier trahit sans doute un grand tourment de la part de son auteur. Dans le cas de Johnny Jane, force est de constater que le curseur est plutôt bien placé. Le jeune songwriter, pianiste de formation, amalgame en effet avec une expressivité folle les plans impeccables d’un rock indé et racé avec la poésie propre aux héritier des yéyés. Dans son cas, la formule Yeah ! yeah ! conviendrait bien s’il ne charriait pas, entre deux riffs aiguisés, les états d’âme d’une génération anxieuse : Johnny pour le rock, Jane pour les sanglots. Attitude(s), le premier album de Johnny Jane, bénéficie d’une production léchée et du talent d’écriture et d’interprétation à la maturité disons… Outre-atlantique. (Les biographes n’ont pas la tâche facile parfois).

Juniore

A l’évocation de l’adjectif “rétro-futuriste”, certains auront une vision de vaisseaux spatiaux chromés et colorés, d’autres de postes de télévision qui retransmettent du noir et blanc. Le trio Juniore a choisi de ne figer aucune de ces représentations mais plutôt de les fondre dans un grand kaléidoscope aux délicieux scintillements yéyés. Françoise Hardy se balade dans ce panorama conté par la chanteuse Anna Jean qui montre aussi des versants plus abrupts des sixties : garage, surf rock… Bien sûr, La Femme a pulvérisé son psychédélisme vénéneux sur ces chansons, qui évoquent un été trouble, mais un été quand même. Trois, Deux, Un, nouvel album de Juniore, fait suite au fascinant Un, Deux, Trois en 2020. Décidément, le temps est une notion très subjective dans l’univers de Juniore.

Knives

Des punks avec le sens du service client, ça ressemble à une antithèse. La féconde scène de Bristol l’a pourtant fait. “On estime que si des gens paient pour nous voir sur scène, on doit leur en donner pour leur argent” ont ainsi répondu à un média anglais les trois mecs et deux filles de Knives, qui remplissent le contrat quel que soit le lieu qui les accueille, d’après le même média. Leur serviabilité les a même poussés à livrer une version échevelée du Babooshka de Kate Bush qui se fond à merveille dans le brasier qu’ils attisent férocement depuis leur récente apparition : on pense à Idles en plus métal, à un Sleaford Mods sur volume 11… Penser est pourtant la dernière chose qui vient à l’esprit à l’écoute des quelques titres trop rares disponibles d’un groupe qui a déjà vandalisé toutes les caves amplifiées de sa ville. Serviables, certes, mais punks avant tout.

Lala &ce

Dans le langage de la “tech”, une licorne est une entreprise valorisée à plus d’un milliard de dollars. Dans le rap de Lala &ce, la valeur n’attend pas le nombre des dollars : sa Licorne n’aura pas les honneurs des pages saumon du Figaro mais rue déjà dans les brancards d’un rap souvent monolithique et souvent monopolistique. La rappeuse de Bron, émancipée du giron de Freeze Corleone, affirme encore une fois avec ce dernier single une voix singulière et comme détachée des contingences terriennes : entre PNL pour la langue vernaculaire et Grems pour la mutinerie du bout des lèvres, Lala &ce a en plus l’élégance de creuser des mélodies implacables, des productions enivrantes et de porter sa fierté queer. Nietzschéen, suave et frondeur : service gagnant.

Los Bitchos

Emparez-vous d’une carte postale d’Uruguay, d’un léger psychotrope, d’un blouson en cuir siglé Ramones et de patchs délavés, injectez tout ça dans une IA bien paramétrée et vous obtiendrez un précipité pas très loin de la musique des Los Bitchos. Les Londoniennes Serra, Nic, Josefina et Agustina n’ont eu besoin que de mélanger leurs cerveaux et leurs pulsions pour générer une iconoclaste fusion cumbia psyché pop et des hymnes solaires au cosmopolitisme. En cela, Los Bitchos voisine avec Khruangbin et Altın Gün dans sa faculté à inventer un langage inédit à partir de matériaux a priori dépareillés. Alex Kapranos a mis son élégant grain de sel dans la production et voilà le quatuor lancé à la poursuite de ce qu’aucune IA ne pourra jamais atteindre : le cœur des foules.

Léon Phal

Parcoursup lui a joué un bon tour : c’est à l’honorable Haute Ecole de Musique de Lausanne que Léon Phal a parachevé un cursus de prestige entamé dès le berceau, en écoutant son père rockeur répéter. Diplômé es saxophone, le jeune prodige a ensuite multiplié les stages de groove et ne cesse depuis d’amasser de bonnes et savoureuses notes : cuivrées, jouées sur un rythme étourdissant et agencées avec la plus grande liberté. On entend du Roy Hargrove dans ce saxophone aux vertues psychotropes, on sent de l’afrobeat et du funk dans ce jazz contemporain salué par les plus blasés des amateurs de la note bleue, ceux qui arpentent frénétiquement Nancy Jazz Pulsations et Jazz à Vienne. Le Marnais a peut-être le remède à l’un des plus grands tourments de notre époque : il a intitulé son troisième album Stress Killer.

Mercury

Une rappeuse-skateuse qui s’empare du Where’s Your Head At de Basement Jaxx a forcément des trucs à nous faire entendre. Mercury n’a pas connu le 20e siècle et elle semble pourtant déjà à même de représenter le renouveau du son d’Atlanta, celui d’Outkast et de Young Thug.

Miles Kane

Solo mais jamais seul : un an seulement après Change The Show, Miles Kane ressort du studio liverpuldien qui vraisemblablement lui sert de maison d’hôtes avec un nouvel album. One Man Band, cinquième frappe du scouser en solo, est un titre trompeur : comme à son habitude, le lad Kane y est bien entouré. Le nord-ouest de l’Angleterre ne manque pas de main d'œuvre pour bâtir de nouvelles et rutilantes embarcations. Cette fois ce sont ses cousins - for real! - de The Coral, James et Ian Skelly, qui ont mis la main à la production et à la batterie (alors que sort en même temps Sea of Mirrors, leur onzième et magistral album). C’est aussi entouré d’esprits que Miles Kane a forgé ces onze nouveaux titres taillés pour la scène : le rock racé du meilleur des Black Keys, le crooning d’un Richard Hawley sorti de sa torpeur, sans oublier d’étincelantes évocations northern soul qui rappellent immanquablement ses inoubliables Last Shadow Puppets.

Mourn

On les imagine bien, avec leur sac Eastpak ornés de patchs multicolores, se retrouver après le lycée pour échanger leurs découvertes musicales glanées dans tel fanzine et se passer l’un l’autre des écouteurs, secouant tous deux la tête - même celui qui n’a rien dans les oreilles. Oui, Jazz et Carla étaient des lycéens comme tout le monde, dans leur campagne barcelonaise, mais eux n’avaient ni rap ni electro dans le sac à dos mais des guitares. Ce sont des mythes des années 90 qu’ils se partageaient et ont commencé à imiter à l’heure où leurs camarades se prenaient pour Messi sur Playstation. Dix ans plus tard, les voici armés de cinq albums, propageant une power pop aussi sensible que nerveuse qui ne fait pas que ressusciter les belles heures de MTV mais souffle un alizé nouveau sur la Catalogne, et bientôt sur le monde.

PAMELA

C’est Ouest France qui le révèle : les deux Nantais Samuel Sprent et Simon Quénéa sont les auteurs de l’enlèvement de Laurent Voulzy, retenu iconoclaste dans le hangar bigarré des influences de leur groupe Pamela parmi LCD Soundsystem, Gorillaz, Oasis et Joy Division. Il ne doit pas être si mal, le Laurent, blotti comme ça entre les giclées électroniques et les légendes britanniques qui habitent la fantasmagorie du duo, et notamment celle de Sprent. Ce sujet de Sa Majesté a posé jeune ses valises dans les Pays de la Loire et y a fondé Von Pariahs puis Swirls. Avec Pamela et en seulement trois excellents singles, il réalise le prodige de donner à la France le Soundsystem qui manquait à son paysage dans un costume sur-mesure de “Jacques Murphy” incandescent. Avec un son propre et hédoniste, le hangar des inspirations de Pamela  peut désormais être vidé. Libérez Voulzy !

Perturbator

En anglais on utilise “genre defining” pour décrire les œuvres ou les artistes qui à eux seuls créent des mondes et ouvrent de nouveaux chemins créatifs. James Kent a mérité ce descriptif en enfilant son costume de Perturbator, sous lequel il mélange inspirations métal et réacteurs synthétiques. La “darksynth” a ainsi trouvé son plus rutilant avatar, produisant la bande-son de scènes se déroulant dans un univers post-apocalyptique où vraisemblablement ce sont des robots qui ont pris le contrôle du Hellfest. Les imaginaires manga et du jeu vidéo ne cessent de surgir dans les productions du Français sous leur apparence la plus sombre et la plus obsédante. La musique de Perturbator est aux musiques électroniques ce que le black métal est au rock : une catharsis bienvenue, un cauchemar dans lequel on se délecte.

Robert Finlay

L’obscur bayou de Robert Finlay est à l’image de sa musique : il impressionne autant qu’il est désirable et renferme de troublants dangers. Le quasi-septuagénaire Finlay a pris son temps pour exhumer de ses marécages intimes Black Bayou, son quatrième album. On sait bien que dans le domaine du blues, quelques rides ajoutent toujours du tranchant aux cordes des guitares. Dan Auerbach (The Black Keys) dit de lui qu’il sait tout jouer. Les morceaux qu’il a contribué à faire émerger le prouvent : une ballade en Louisiane et dans le temps, des eaux troubles aux grands espaces, de la soul au gospel et du rock n’roll au blues. Le vieil homme est également facétieux, comme lorsqu’il narre l’épisode où son père l’utilisât en guise d’appât à saurien. À peine croyable mais follement excitant, exactement comme le fait qu’un bon vieux blues puisse encore nous épater.

Saint Levant

Imaginons deux secondes que l’humanité s’éteigne dans les années à venir. Deux constats éclosent alors. Primo, n’attendez pas pour venir voir autant de concerts que vous le pouvez et secundo, les futurs habitants de notre planète pourront rendre grâce à Saint Levant. Ce dernier sculpte en effet petit à petit la Pierre de Rosette de notre époque, celle qui leur permettra de déchiffrer à la fois l’arabe, le français et l’anglais tout en se délectant des plus chaudes vibrations de cette si paradoxale époque que fut le début du 21e siècle. Enraciné sur deux continents - une enfance passée à Gaza puis en Jordanie avant d’émigrer en Californie - Saint Levant prend les meilleurs de tous ses mondes et les précipite dans un étourdissant mélange de r’n’b, de rap et de pop électronique pour livrer avec un pétillant polyglottisme le plus fidèle condensé musical de notre temps.

Silly Boy Blue

On doit à David Bowie d’avoir baptisé une seconde fois la jeune Ana Benabdelkarim. A lui aussi d’avoir gouverné à son éclosion artistique, projetant sur elle comme sur les artistes du monde entier depuis un bon demi-siècle, la possibilité de se réincarner à volonté. Silly Boy Blue, qui figure sur la face B du tout premier album du maître paru en 1967, évoque un jeune moine tibétain en rupture de ban avec sa culture. Ce thème de la scission traverse l'œuvre de la Nantaise Silly Boy Blue, qui dès sa mue artistique achevée, livra une bouleversante collection de Breakup Songs, soit des “chansons de rupture”. Dans l’édredon vaporeux d’une dream pop garnie d’une majestueuse voix ouatée, Silly Boy Blue autopsiait les sentiments contrastés qui émergent de toute séparation, cette étrange mixtion de douleur et de félicité, ou quand une fin devient un commencement. A l’heure de livrer son deuxième album, c’est à mi-chemin de Lana Del Rey et de Lady Gaga que Silly Boy Blue a choisi de se réincarner. Ou quand Bowie voisine avec les légendaires L5 : “Toutes les femmes de ta vie, en moi réunies”.

Steph Strings

Comme dans un épisode de Dawson, la musique de Steph Strings ricoche de scènes feel good en fins poignantes. La différence dans la folk sauvage de l’Australienne, c’est que la scénariste est aussi l’actrice principale et que ces moods successifs reflètent sa réalité (pas comme une université américaine où on passe son temps à conter fleurette au lieu d’étudier). Steph Strings étire donc de fabuleux plans séquences du bout des doigts de son fingerstyle à la guitare. La comparaison avec son compatriote virtuose John Butler est trop évidente pour ne pas être mentionnée, entre folk et blues celtique : elle est d’ailleurs plus que légitime, tant la musicienne, auteure-compositrice et interprète de Melbourne fait preuve d’une maîtrise époustouflante, tant dans le jeu que dans le récit d’histoires très personnels.

The High Llamas

La légende raconte qu’en rencontrant Sean O’Hagan en Californie, Brian Wilson se serait exclamé “mais tu es moi!”. Quel que soit le neuroleptique que prenait alors l’ange déchu des Beach Boys, son commentaire ce jour-là ne manqua pas de lucidité. Car l’Irlandais, fondateur des High Llamas en 1991, a surgi à peu près au moment du dernier déclin des chantres californiens de l’été éternel et comme eux, il a depuis lors entrepris d’offrir à la pop music un supplément d’art. Du haut de son onzième album - Hey Panda, sorti en 2024 - O’Hagan a désormais une liberté totale et une vue imprenable sur cette discipline disputée qui vise à enfiler les meilleurs refrains sur les plus délicates ficelles mélodiques. A 65 ans, le producteur, chanteur et compositeur s’est entiché de Tik Tok, de hip hop et même d’autotune, complétant l’arsenal d’un groupe au pédigrée unique. Si Brian Wilson était encore productif, il s’emparerait d’ailleurs lui aussi de ces outils neufs, comme il le fit jadis pour écrire sa légende.

Thee Sinseers

Les plus excitants représentants de la mythique maison Daptone sont donc apparus sur la succursale californienne du mythique label rétro : Thee Sinseers ont depuis largement conquis les terres orientales et notamment la France, en commençant par les Transmusicales, autre AOC remarquable. La voix impressionnante de Joey Quinones, toute de velours, y est pour quelque chose, de même que l’ensemble musical qui l’accompagne et rend le plus magnifique hommage à l’époque bénie de la soul et du technicolor.

Ultra Vomit

Vous souvenez-vous du film Idiocracy ? Cette comédie américaine de 2006 sans grande ambition qui décrivait une société gouvernée par la bêtise était plutôt drôle, jusqu’à ce que la réalité rejoigne quasiment la fiction dix ans plus tard… La métaphysique des frontières de la parodie est une notion qui s’applique également à Ultra Vomit. Les Nantais s’amusent à singer les codes du heavy métal en y accolant titres et paroles potaches (“Croute de Pus”, “Pipi vs Caca”... : à ce jeu ils concurrencent quasiment leurs aînés de Gronibard), et sans faire exprès, au fil de trois albums - bientôt quatre - se sont imposés comme l’un des fleurons des musiques extrêmes en France. Et puisque la capitale du métal européen se trouve à Clisson, c’est bien le vrai trône que dispute Ultra Vomit : on a bien déjà vu dirigeant plus débile !

Wolfshow (Killason)

Les effluves d’Atlanta, les rythmes synthétiques et les pas de danse de ses parents ont créé dans l’esprit du jeune Marcus Dossavi-Gourdot un mouvement perpétuel qui, depuis le Poitiers de son enfance, allait engendrer un avatar baroque : KillASon est l’amalgame des multiples identités de son personnage principal et démiurge, le performer total qui manquait au paysage urbain français. Avec son Wolf Show, KillASon crée un cadre assez ample pour toutes ses audaces : accompagné d’un danseur et d’une danseuse, le rappeur utilise les trois dimensions plus quelques unes de son invention pour exprimer les plus troublantes de ses tribulations. Si l’homme est un loup pour l’homme, KillASon est certainement le plus féroce.

Yelle

Yelle qui fête son vingtième anniversaire, d’abord ça fout une claque. Puis ça oblige à opérer une rétrospective. Le duo, héritier de Jacno et des pastilles sucrées-salées de la pop française des années 80, a été le porte-étendard de la génération MySpace, le plus brillant des avatars fluos de cette electro pas si naïve qui trustait les bandes passantes. Yelle - duo et chanteuse - l’a incarnée jusqu’aux Etats-Unis et n’a finalement jamais cessé de la re-sculpter : tous les cinq ans, on redécouvrait son panache et à l’heure de célébrer deux décennies d’iconoclasme, c’est notamment aux côtés de Scratch Massive, autre fine lame de l’electro française qu’on la retrouve en majesté.

Àsgeir

Quand les fiers musiciens islandais rentrent de leur tournée sur le continent, la tradition veut qu’un grand banquet soit organisé au palais royal, au cours duquel sashimis de dauphins et salades de poulpes sont servis en quantité déraisonnable. Sigur Rós serait ainsi responsable du dépoissonnement de 30% de l’Atlantique Nord et Àsgeir, d’environ 20%. L’Islande, terre de légendes, inspire les plus improbables récits (la preuve). La vraie légende, c’est la proportion d’habitants talentueux sur cette île. Ásgeir Trausti Einarsson est cet “elfe” idéal que nous autres wisigoths nous plaisons à décrire isolé dans une cabane fouettée par le vent, occupé à sculpter de sublimes hymnes boisés. Cabane ou pas cabane, le jeune trentenaire a multiplié les voyages sur le continent depuis une dizaine d’années pour essaimer sa folktronica dont la douceur ne fait l’objet d’aucune contestation historique. Ne croyez pas toutes les légendes. D’ailleurs l’Islande est une république parlementaire : il n’y a pas de palais royal à Reykjavik.

Textes biographiques des artistes programmés par la Scène de Musiques Actuelles de Nantes depuis 2023

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©2021 par Mathieu Dauchy.

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