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  • Photo du rédacteurMathieu Dauchy

De quel bois brûlent les concerts à la bougie ?



"- Ca te dit d'aller voir un concert ce soir ?
- Ca dépend, c'est éclairé à la bougie ?"

Cet échange n'a jamais eu lieu, dans aucune discussion d'aucune relation d'aucune société, je suis catégorique. Pourquoi donc avons-nous vu, Lillois bien dotés de compteurs Linky, se multiplier cette engeance médiévale de spectacle vivant ? Comment ce format peut-il apparaître dans le sillage post-moderne du ciné-concert, du meeting politique immersif et de la pornographie en réalité virtuelle ? Fallait-il vraiment ajouter une option à l'arsenal des vendredis soirs ?


La première rencontre consistait en un récital de Chopin dans une église, "une expérience intimiste à la lueur des bougies dans un décor intemporel" : erreur de ciblage, me suis-je dit ; Ils doivent ignorer que je n'ai pas encore 65 ans, que les églises, qui n'ont généralement pas de bière en pression, m'attirent peu, et que les concerts assis m'enchantent autant que le train debout. Mais rapidement, les sollicitations se sont multipliées, et il a été question d'allumer le feu featuring Yann Tiersen, Ennio Morricone, Daft Punk, Taylor Swift, Coldplay, ABBA et Hans Zimmer, parmi d'autres. J'avais l'impression de faire une partie de bataille navale avec le plus malheureux des compétiteurs : non, non, toujours pas, non, ah non, non plus, non, toujours pas.



Dans une période où les concerts debout étaient soit interdits, soit en péril imminent, j'ai songé que le format devait s'adresser aux plus dépendants des spectateurs de concert, des mélomanes qui ne pouvaient se contenter des concertos du Nouveau Siècle et des Jazz Clubs et qui vont à l'occasion écouter de la harpe au bar de l'Ermitage Gantois (true story), mais comment expliquer cette programmation qui ferait rougir de honte la plus audacieuse des foires à la saucisse ? Quel promoteur de concert peut jongler entre ABBA et Vivaldi ? Avons-nous à faire à une secte ?


Les concerts "Candelight" sont en réalité produits par une startup américaine, Fever, qui développe un algorithme de recommandation de sorties culturelles dans plus de 50 villes à travers le monde, et propose donc elle-même des événements sous l'appellation "Fever Originals". Pour vivre l'une des ces "expériences intimistes à la lueur des bougies", la grille tarifaire est toujours la même, s'étalant sur 4 catégories de places, d'une "visibilité moyenne" à 15€ à une "excellente visibilité" à 40€, que ce soit dans une église, un hôtel ou une salle de spectacles à proprement parler.

Seul le répertoire change d'un concert à l'autre. Que l'on soit plutôt Chopin ou Taylor Swift, les soirées Candlelight lilloises mettent en scène soit le pianiste solo Cyril Lehn, soit l'Ensemble Marolles, un quatuor à cordes : des musiciens peu ou pas mis en avant dans la promotion, mais là n'est évidemment pas le "produit d'appel".


Promus principalement par la page Facebook "Lille Secret", les concerts à la bougie bénéficient de publications sponsorisées qui mitraillent tous azimuts et bénéficient de nombreuses réactions sur les réseaux. "Lille Secret" est la déclinaison locale, sous couvert d'une page "lifestyle" banale, du "Secret Media Network", qui complète l'arsenal de Fever pour toucher les publics. Mais bien plus qu'un simple guide culturel et promoteur d'événements, Fever collecte avec son appli et sa "marketplace" de la data sur les préférences de ses spectateurs, données qui sont ensuite vendues aux promoteurs "historiques" pour adapter leur offre.


Dans cet entretien pour BFM Business, le DG France de Fever emploie le verbe "disrupter" dès sa première phrase :


Ces concerts à la bougie éclairent avant tout l'attrait du monde de la finance pour ce que ce gentil barbu qui ne doit pas lire Alternatives Economiques tous les jours appelle "l'expérience offline". Loin, très loin de la conception très française d'un spectacle vivant sacralisé, subventionné et "culturel". Dans ce marché de l'expérience qui veut concurrencer celui de l'attention, on peut vendre un concert sans mettre en avant l'artiste, simplement en promettant un moment super-instagrammable. Que vaut l'expérience si elle ne peut pas être mise en valeur auprès de son réseau ? Dès lors, la visibilité de la scène devient cruciale, et les places à 15€ bien inutiles.


De la même façon que Spotify a modifié la façon de consommer la musique en proposant à ces utilisateurs de laisser à l'algorithme le soin de choisir la musique, on voit émerger une nouvelle classe de spectateurs des concerts, qui ne placent plus l'artiste au centre de l'enjeu mais attendent d'un concert qu'il soit une "expérience" : qu'importe l'ivresse, si le flacon est éclairé à la bougie.



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